Le podcast Projets libres, sous-titré «Modèles économiques et communautés du logiciel libre», a été créé en avril 2023 par Walid Nouh. En mars et avril (2024), il a publié deux interviews (sous licence CC by-sa) dédiées à Open Food Facts, l’une plus grand public, avec Manon Corneille, responsable des partenariats, et la suivante, côté technique, avec Alex Garel, un des développeurs et animateurs de la communauté.
Dix salariés
Deux longs entretiens (plus de 120.000 signes au total), dont voici quelques extraits, un aperçu de ces textes très riches dont la lecture complète est éminemment recommandée. On notera que l’association compte (début mars) dix salariés, aidés par 300 à 400 bénévoles «qui nous aident tous les jours pour travailler sur la qualité des données, pour développer l’application mobile, développer le site web, nous aider à traduire tous les contenus qu’on peut avoir, plein plein d’autres choses».
Manon Corneille:
«Open Food Facts est née en 2012, il y a un peu plus de dix ans maintenant. Donc cette association a été fondé par Stéphane Gigandet qui est une personne fascinante, qui mène plein de projets. Il menait à l’époque un blog qui s’appelle recettes.de, qui est toujours actif d’ailleurs, avec une communauté assez active. Sur ce blog, il liste des recettes et dans ces recettes, il était intéressé de pouvoir les enrichir avec des informations nutritionnelles aussi. Donc il a cherché une base de données sur des informations nutritionnelles, il ne l’a pas trouvé, il a décidé de la créer.
Et donc petit à petit, c’est comme ça que Open Food Facts est né. Puis au fur et à mesure, il a réussi à s’entourer de personnes qui s’intéressent au sujet de la nutrition et qui ont contribué à enrichir la base de données aussi.
Donc voilà, le projet a été un projet citoyen qui vivait avec à peu près 1.000 euros de budget annuel jusqu’en 2017, si je ne dis pas de bêtises. Au fur et à mesure, sur les 4 ou 5 dernières années, le projet s’est vraiment professionnalisé et il y a pu y avoir le recrutement de salariés. Aujourd’hui, on est 8 dans l’équipe et on est entouré de plein de bénévoles. Donc c’est super enthousiasmant. (…)
Au début il a créé le projet tout seul, il a créé la base de données tout seul. Mais l’association… 11 avril 2014. Donc oui, l’association n’a pas été créée de suite. Stéphane a commencé à mettre le pied à l’étrier dès 2012. En fait, suite à ça, il a rencontré Pierre Slamich, qui est le cofondateur de l’association Open Food Facts. Et donc ils ont décidé de formaliser un petit peu tout ça en créant une association.
Et pour la petite histoire, l’association a été lancée le 19 mai 2014, qui est le jour de la Food Revolution Day, donc le jour de la révolution alimentaire, avec pour mission donc d’essayer de faire la transparence sur le système alimentaire.
Produits de beauté, prix…
Walid : (…) Qu’est-ce que le projet Open Food Facts contient comme sous-projet? Il n’y a pas que la base de données alimentaires?
Manon : oui tout à fait, c’est une question qui intéresse de plus en plus de monde parce qu’on commence à s’intéresser, on s’intéresse déjà depuis quelques années à l’impact environnemental à la fois des produits alimentaires mais aussi des produits de beauté, des produits du quotidien. Les consommateurs se posent de plus en plus de questions et du coup pour faire face à cette demande, Open Food Facts a plein d’idées, plein de verticales. Donc on a Open Product Facts qui est donc la base de données des produits du quotidien. On va pouvoir retrouver un canard en plastique, une assiette, un micro-ondes, tout ce qu’on peut acheter comme objet physique.
On va pouvoir proposer des conseils de consommation: par exemple, on pourra stocker des notices d’utilisation de certains objets. On pourra conseiller si la personne cherche à jeter son objet ou à le donner ou à le recycler. On va essayer de guider l’utilisateur pour qu’il puisse étendre la durée de vie de ses projets. On est super enthousiastes parce qu’on va travailler en 2024 dessus. C’est un projet qui a été financé par la fondation AFNIC. On a des moyens dessus, donc on a hâte d’être à la fin de l’année pour voir ce que ça donne.
Ensuite, on a aussi l’application Open Beauty Facts, qui traite de tout ce qui est cosmétiques, produits de beauté, crèmes solaires, gel douche, etc. Ensuite, on a très récemment, suite à l’inflation et à tout ce qui s’est passé sur la question des prix, on a un petit groupe de membres de la communauté d’Open Food Facts qui s’est réuni, qui a décidé de créer Open Prices, la première base de données ouverte sur les prix.»
Les financements
«On est financé aujourd’hui à peu près à hauteur de 30% par des subventions qui viennent du public. On va travailler par exemple avec Santé Publique France, avec l’ADEME, et donc on va faire pour eux des projets. Ce sont des financements qui sont quand même fléchés. Par exemple, on travaille en ce moment avec Santé Publique France sur l’accompagnement du Nutri-Score, de la nouvelle version du Nutri-Score. On a un petit peu de pédagogie, on discute avec les fabricants pour faire en sorte que l’adoption soit facilitée.
Ensuite on a une autre partie qui vient d’organismes philanthropiques, donc les fondations, comme par exemple la fondation Google.org. Il y a deux trois ans on a gagné le Google Impact Challenge, avec la somme d’un million d’euros. Donc ça a permis de mettre beaucoup de beurre dans les épinards pour quelques années.
On a été aussi soutenu par la fondation Mozilla, ou des acteurs comme OVH, qui nous finance les serveurs depuis le début. On a aussi la fondation Free, qui est sur la partie infrastructure.
Donc 30% du public, 30% à peu près de fondations philanthropiques. Ensuite, il y a un autre gros tiers qui vient des projets européens. On essaie de nouer des partenariats avec différents acteurs en Europe pour être impliqués et participer à ces projets. Et ensuite, on a aussi pas mal de donations du public. Donc on fait des campagnes de dons tous les ans pour essayer de récolter un petit peu de sous. Voilà à peu près comment ça s’organise.»
«Un commun numérique»
Pour Manon Corneille, OFF est un commun numérique [NDTN: c’est aussi l’avis de l’Assemblée numérique de l’Union européenne]: «Je considère que, comme le projet Open Food Facts est libre, la base de données est libre, tout le code, tous les algorithmes sont en open source. Cela bénéficie à énormément d’acteurs. Aujourd’hui, il y a un peu plus de 300 applications mobiles qui réutilisent notre base de données. Il y a plus de 3 millions de visiteurs uniques tous les mois qui regardent Open Food Facts, qui nous consultent pour leur connaissance. On a recensé depuis les dix dernières années plus de 600 articles scientifiques qui utilisent Open Food Facts. Donc dans ce sens, je considère que Open Food Facts est un commun numérique. On est sollicité très régulièrement par des étudiants qui font des doctorats, par des scientifiques, par tout plein de monde. Ils voient beaucoup de valeur dans cette base de données.»
«Aujourd’hui, on est présent dans près de 200 pays, donc presque tous les pays. On va dire qu’on a un début de base de données dans près de 200 pays. Après, si on prend le nombre de pays dans lesquels on a plus de 50 000 produits, je pense qu’on doit être autour de 30 pays. Donc on est principalement en Europe, aux US, Amérique du Sud un petit peu aussi.»
Alex Garel : des serveurs hébergés par Free et OVH
«On est sur des serveurs en Bare Metal, on va dire, sur lesquels on met Proxmox en général. Là, on vient de mettre un peu tout sous Proxmox, il y en avait qui n’étaient pas encore sous Proxmox. Donc on a 5 serveurs actuellement, 2 qui sont hébergés par la fondation Free, donc c’est des serveurs qui nous appartiennent mais qui sont hébergés gratuitement par eux, et 3 serveurs que nous sponsorise OVH, et peut-être un quatrième bientôt, on espère.
Voilà donc ça c’est vraiment le cœur de notre infra, et ensuite donc on a une infra qui est Proxmox pour structurer tout ça, donc Proxmox ça permet de créer des machines virtuelles et des containers. Et puis on utilise énormément ZFS parce que c’est vraiment très très pratique. On a pas mal de données quand même surtout au niveau des images. C’est vraiment pratique pour faire de la synchronisation multi-machine. Comme ça on peut synchroniser entre Free et OVH à un coût vraiment bon.
J’ai trouvé un petit logiciel qui s’appelle Sanoid qui aide à faire ça de manière très carré. Comme c’est Proxmox on est beaucoup basé sur du Debian.»
Les contributeurs techniques
«La plupart des gens qui contribuent, c’est des individuels en fait, qui font ça sur leur temps libre parce que ça a touché une corde chez eux ce projet ou parce qu’ils cherchaient à avoir un impact sur l’alimentation avec leurs compétences. Je donne un exemple, là on a John qui est un senior développeur qui est en Angleterre et qui lui aurait, a failli en fait faire son appli ou sa base de données puis quand il a découvert Open Food Facts, il s’est dit non mais c’est là en fait il faut que je m’investisse là et maintenant il s’investit un jour par semaine complet avec des super compétences. On a Benoît en Croatie pareil qui lui a appris quand je te disais il y en a qui apprennent le Perl pour contribuer, a appris le Perl, a appris à programmer, a commencé en fait à d’abord s’intéresser aux taxonomies etc.
Donc c’est déjà un sujet un petit peu technique parce qu’il faut se rentrer dans le sujet. Et après il a voulu vraiment corriger les erreurs sur les ingrédients et tout, sur les produits qu’il voyait. Et il s’y est mis quoi, il a commencé à corriger 2-3 regexp (NDLR: expressions régulières) dans le code. Puis maintenant il fait carrément des nouvelles features (NDLR: fonctionnalités) etc. lui-même quoi. Après ça voilà, il y a des gens qui viennent, qui sont plus dispo à un moment.
Bon ben ça c’est la vie de l’open source et de la communauté. C’est surtout ça. Après, il y a eu des choses exceptionnelles, comme la fondation Google, qui, dans le cadre du prix qu’on avait gagné, Google Impact Challenge, sont venus nous aider. Et oui, des projets étudiants aussi, et des programmes. On a eu deux années, la chance d’avoir Google Summer of Code.
C’était aussi des bonnes opportunités. Là, on ne l’aura pas cette année donc malheureusement mais voilà.»
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