Une loi pour mieux se défendre contre les ingérences étrangères a été adoptée par l’Assemblée nationale. Ce texte donne aux services de renseignement davantage de moyens pour détecter et lutter contre ces tentatives de déstabilisation et de manipulation de l’opinion, provenant de l’étranger. L’un d’entre eux, jusqu’à présent réservé à l’antiterrorisme, constitue un pas de plus vers la surveillance généralisée, selon ses détracteurs.
« Des armes efficaces » pour prévenir, détecter et combattre les ingérences étrangères : mercredi 5 juin, la loi qui vise à donner davantage de moyens aux services de renseignement pour lutter contre les tentatives de manipulation de l’opinion provenant de l’étranger a définitivement été adoptée.
Avec ce texte, « la France passe dans une autre dimension face aux ingérences dont elle est victime », s’est félicité sur son compte X Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne et un des trois parlementaires issus de la majorité présidentielle à l’origine de la proposition de loi.
À quoi va servir la loi ?
Concrètement, l’objectif de cette législation est de davantage se protéger contre toutes les ingérences, définies comme des « agissement(s) commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère », dont l’objet ou l’effet est « de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques ».
Ces derniers mois, des tentatives de déstabilisation et de polarisation de la société qui proviendraient de l’étranger, ont eu lieu – à l’image des étoiles de David taguées en Ile-de-France, des faux cercueils déposés sous la tour Eiffel, ou encore des mains rouges peintes sur le mémorial de la Shoah.
Ces tentatives de déstabilisations, qui visent à attiser les fractures de nos sociétés démocratiques, à manipuler et à désinformer, sont « de plus en plus dangereuses ». Elles « s’attaquent à notre démocratie et à notre espace informationnel », a souligné la députée Renaissance Constance Le Grip, cosignataire de la proposition de loi, dans une vidéo diffusée sur son compte X.
Les 3 dispositions phares
Concrètement, la nouvelle loi sur le renseignement comporte trois dispositions clés. Avec elle, un nouveau registre national de l’influence étrangère sera mis en place, à l’image d’un carnet d’adresses numérique listant les « représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger », sous la houlette de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Selon le texte, tous ceux qui font la promotion des intérêts d’une puissance étrangère – que cela soit destiné au grand public ou aux pouvoirs publics français – devront respecter cette nouvelle obligation déclarative. Sont concernés les lobbyistes, les collecteurs de fonds, les communicants, toute organisation ou personne travaillant pour des gouvernements étrangers, des partis politiques ou des entreprises sous contrôle étatique. À noter que les diplomates en poste en France, et les fonctionnaires ne sont pas concernés.
Autre nouveauté, la procédure de gel des avoirs financiers, qui existe déjà pour lutter contre le terrorisme, pourra désormais être initiée contre l’ingérence.
Mais la disposition la plus emblématique et la plus polémique de cette loi a trait aux fameuses boîtes noires du Renseignement, instaurées par une loi de 2015, et jusque-là réservées à la lutte contre le terrorisme. Neuf ans plus tôt, les législateurs français avaient autorisé, malgré les nombreuses levées de boucliers, la mise en place de capteurs sur des infrastructures de télécommunications. Initialement prévu à titre expérimental, et jusqu’en 2018, le dispositif a ensuite été pérennisé par une loi en 2021.
Ces boîtes noires collectent des données de connexion (appelées parfois métadonnées) – ce qui comprend des données téléphoniques ou Internet (URL). Ces data, qui permettent de voir qui communique avec qui, quand et pendant combien de temps, sont ensuite analysées par des algorithmes. En 2015, de nombreuses associations avaient tiré la sonnette d’alarme, estimant que le dispositif revient à mettre en place une surveillance de masse indifférenciée. Le dispositif, dont l’efficacité n’a jamais été prouvée, avait jusqu’à présent exclusivement vocation à détecter des comportements suspects liés au terrorisme.
« Des capacités de surveillance démultipliées »
La nouvelle loi adoptée le 5 juin dernier vient élargir son utilisation à deux nouveaux cas, pendant quatre ans (jusqu’au 30 juin 2028). Outre les menaces terroristes, le dispositif pourra être enclenché par les services de Renseignement pour lutter contre « des ingérences étrangères et des menaces pour la défense nationale ».
Selon la formulation de la loi, à compter du 1ᵉʳ juillet 2028, c’est le retour à la règle initiale : l’utilisation des boîtes noires ne pourra être utilisé qu’exclusivement à des fins de lutte contre le terrorisme.
Le Parlement recevra deux rapports sur l’application de cet article : un avant juillet 2026 et un avant janvier 2028. Tous deux devront comprendre « des exemples de mise en œuvre des algorithmes transmis à la délégation parlementaire au renseignement ».
Pour la Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la Magistrature (SM), et d’autres membres de l’Observatoire des libertés et du numérique, signataires d’un communiqué publié le 29 mai dernier, la nouvelle loi va venir « démultiplier les capacités de surveillance » des agences de renseignement « dans une logique constante de solutionnisme technologique ». Pourtant, « le gouvernement dispose déjà de nombreux outils pour éviter les intrusions », estiment ces organisations.
Pour ces dernières, l’extension temporaire (pour quatre ans) risque d’être pérennisée, comme de nombreux autres précédents l’ont montré.
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Source :
Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, adoptée le 5 juin 2024