Qu’ils regardent la série depuis cinq ou cinquante ans, les fans de Doctor Who s’apprêtent à découvrir, à partir de samedi 11 mai, sur la plate-forme Disney+, une nouvelle mouture du programme télévisé phare de la BBC, avec un nouvel acteur dans le rôle-titre. Adorée par plusieurs générations de Britanniques, iconique chez les amateurs de science-fiction, la série a toutefois du mal à se faire une place dans le cœur du grand public français. On vous explique.
« Doctor Who », c’est quoi et c’est qui ?
C’est une série britannique qui a fêté, cet hiver, ses soixante ans d’existence. Elle met en scène un extraterrestre à forme humaine, le Docteur, qui voyage dans le temps et dans l’espace à bord du Tardis, un vaisseau en forme de cabine téléphonique bleue. Un ou plusieurs compagnons humains le suivent dans ses aventures rocambolesques, partout dans l’univers et à toute époque.
Personnage fantasque aux grands cœurs (il en a deux), le Docteur, comme il se fait appeler, sauve le monde comme d’autres prennent le bus. Il laisse planer le mystère sur son histoire et ses traumas, dont le spectateur ne découvre des bribes qu’au compte-gouttes. Particularité : il lui arrive de se « régénérer », indépendamment de sa volonté, en changeant de corps. Une astuce de la production pour remplacer les interprètes au fil des années.
Depuis son lancement en 1963, Doctor Who a accumulé 39 saisons et plus de 800 épisodes. La série a toutefois disparu des écrans en 1989, avant son grand retour en 2005. Elle cumule ainsi le record de longévité pour une série de science-fiction.
Pourquoi cette série passionne-t-elle les Britanniques ?
Depuis ses origines, le programme a pour ambition de montrer la diversité de la société britannique, en s’intéressant notamment aux catégories populaires. Citée au Parlement dès 1968 ou plébiscitée par la reine, Elizabeth II, la série Doctor Who a toujours questionné son époque, estime Pierre-William Fregonese, chercheur à l’Institut des arts contemporains de l’université des arts de Kyoto, joint par Le Monde : « C’est une série qui a su évoquer et critiquer l’histoire politique et culturelle du Royaume-Uni. Son passé, son présent et son futur. Et pas seulement : elle a su dévoiler les croyances, les représentations et l’évolution des structures institutionnelles et familiales du Royaume-Uni. »
Mais Doctor Who ne se prend pas au sérieux pour autant. « On a une série très irrévérencieuse et en même temps pleine d’autodérision », poursuit l’universitaire. Une position qui la rend plus percutante, selon lui. Le spécialiste s’est penché sur ce modèle britannique de soft power dans son ouvrage De la Stratégie culturelle française au XXIe siècle (Classiques Garnier, 2019).
« Doctor Who » est donc culte… mais pas en France ?
Autour du monde, les fans de Doctor Who chérissent une série réconfortante, accessible à tous, où l’humour côtoie l’émotion, mettant en scène de grandes aventures, dans une esthétique kitsch assumée : un plaisir régressif. Ce fragment de l’identité britannique est devenu un parfait produit d’export. En 2013, la diffusion d’un épisode pour son cinquantenaire, dans 94 pays, a cumulé 77 millions de spectateurs.
Un succès porté, depuis le retour de la série en 2005, par des acteurs charismatiques et modernes, comme l’Ecossais David Tennant ou Matt Smith, et par des scénaristes de haute volée comme Steven Moffat (Sherlock), Neil Gaiman (Sandman) ou Richard Curtis (Love Actually). Au point que Doctor Who a aussi largement débordé du petit écran, fédérant son public autour de déclinaisons radiophoniques, de figurines, de bandes dessinées, d’une exposition permanente entre 2011 et 2017 ou de jeux vidéo.
Et en France ? Si la série réunit des noyaux durs de fans, elle n’a jamais fédéré les foules. Pour le chercheur Pierre-William Fregonese, cela s’explique par une diffusion « erratique » jusque dans les années 2000, à laquelle se sont ajoutés des soucis de traduction : « Doctor Who sans les saillies, sans les sarcasmes, ce n’est pas Doctor Who. C’est une série qui tourne autour de la langue, autour des accents, autour de toute cette absurdité et de cet humour britannique. »
La nouvelle mouture peut-elle tout changer ?
On sait déjà que les nouvelles têtes d’affiche croiseront les Beatles mais pas de Daleks – une espèce de mutants en armure – ni de Cybermen – une espèce de robots cyborgs –, les méchants mythiques de la série. Le showrunneur Russell T. Davies promet « une nouvelle ère » pour la série, au point de décider que cette saison serait nommée… « saison 1 ». Un reboot relatif puisqu’il n’effacera ni l’héritage, ni la chronologie des précédentes saisons, mais qui pourrait permettre d’attirer un nouveau public.
La BBC, qui produit la série depuis son lancement, espère en effet lui donner un nouveau souffle. Les audiences n’ont cessé de chuter au long de la dernière saison, avec une moyenne de 4,8 millions de spectateurs par épisode, contre 5,4 millions pour la saison précédente. Des chiffres qui restent néanmoins « très respectables » pour une série télé, avait tenu à préciser son producteur exécutif, Matt Strevens. Le contrat passé entre la BBC et Disney+, qui va désormais diffuser la série en streaming partout dans le monde, pourrait accroître substantiellement son audience – et a par ailleurs permis d’augmenter le budget des épisodes.
Qui interprète le nouveau Docteur ?
Le nouveau Docteur est interprété par Ncuti Gatwa. Né en 1992 au Rwanda, l’acteur s’est fait connaître grâce à son rôle dans la série à succès Sex Education (2019), où il campe le meilleur ami du héros et incarne un adolescent gay issu d’une famille d’immigrés nigérians. On l’a aussi aperçu récemment dans le film Barbie (2023), de Greta Gerwig.
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Il devient le premier acteur noir à interpréter le Docteur… ou plus précisément, le premier à tenir le rôle principal de la série. L’actrice Jo Martin avait déjà endossé ce costume dans quelques passages entre 2020 et 2022, où elle était venue perturber les aventures du treizième Docteur. Ncuti Gatwa est aussi le premier comédien ouvertement queer à jouer ce rôle.
La première apparition de Ncuti Gatwa dans la série a eu lieu cet hiver, dans deux épisodes spéciaux. On y retrouve un Docteur déjanté et lumineux, « à l’énergie queer », selon le showrunneur Russell T. Davies. Il sera accompagné dans ses aventures par la pétillante Ruby Sunday, interprétée par Millie Gibson.
Pourquoi ces nouveautés sont-elles critiquées ?
Fin 2023, ces nouveaux épisodes de Doctor Who ont été la cible de critiques virulentes. En cause : un casting qui fait la part belle à la diversité, la question transgenre au cœur du scénario ou le choix d’un nouvel acteur ouvertement queer pour porter la série. Des thèmes pourtant récurrents pour les spectateurs, la BBC ayant toujours tenu à raconter au travers de la série les évolutions sociales du Royaume-Uni.
En témoigne la nomination de Russell T. Davies comme showrunneur dans les années 2000 : le Gallois, engagé pour les causes LGBTQ+, était alors auréolé du succès de la série Queer as Folk (1999), un programme autour d’un moment-clé de la vie de trois amis gay à Manchester. Sous son impulsion, Doctor Who a eu le souci constant d’intégrer des romances homosexuelles, de dénoncer le racisme et le colonialisme ou de mettre en avant des acteurs issus de la diversité. Des choix progressistes qui, déjà, n’avaient pas manqué de faire réagir.