Pourquoi Samsung pourrait investir 200 milliards de dollars dans des usines de semi-conducteurs aux Etats-Unis ?

Pourquoi Samsung pourrait investir 200 milliards de dollars dans des usines de semi-conducteurs aux Etats-Unis ?


Le géant coréen Samsung ambitionnerait d’investir jusqu’à 192 milliards de dollars sur 20 ans sur deux sites au Texas pour construire pas moins de 11 usines de semi-conducteurs – les “fabs”. Un investissement qui permettrait aux Etats-Unis de revenir dans la course à la production domestique

Cent quatre-vingt-douze milliards de dollars : c’est le plan d’investissement vicennal que Samsung a dévoilé en fin de semaine dernière. À un rythme de quasiment 10 milliards de dollars par an pendant vingt ans, Samsung pourrait ainsi construire jusqu’à 11 usines de semi-conducteurs au Texas. Ce qui en ferait l’un des investissements étrangers les plus importants sur le territoire.

Pourquoi une entreprise sud-coréenne, qui pèse le quart du PIB de son pays d’origine, a-t-elle intérêt à investir de telles sommes dans un pays étranger ? Pourquoi les Etats-Unis, qui chassent certaines entreprises (notamment chinoises) de leur pays, ouvrent les bras a priori sans restriction à un groupe asiatique ? Quels sont les enjeux d’un tel investissement non seulement pour les Etats-Unis et Samsung, mais aussi pour le monde des semi-conducteurs ? Voici quelques éléments d’analyse.

Un projet, pas une promesse (mais une usine est déjà en gestation)

Profitant de la fin prochaine d’une loi exemptant de dix ans d’impôts locaux des entreprises qui s’installent au Texas, Samsung a présenté un projet qui pourrait, dans sa forme la plus optimiste, représenter 11 usines de production de puces (les « fabs ») pour un montant de 192 milliards de dollars. Ce qui n’est pas délirant puisque la moindre usine utilisant des machines de gravure de dernière génération « ultraviolets extrêmes » (EUV) coûte au bas mot 10 milliards.

Dans les documents confiés par Samsung à l’administration américaine, rien n’engage le Coréen à construire quoi que ce soit pour le moment. Ce qui assoit cependant la proposition de Samsung, c’est qu’il opère déjà deux usines au Texas (notamment celle qui produit les contrôleurs de SSD, dont nous vous avons déjà parlé), et qu’il en construit actuellement une troisième pour la bagatelle de 17 milliards de dollars. Samsung a donc déjà un pied sur place, et contrairement à TSMC, n’a pas besoin de créer de chaîne d’approvisionnement de zéro. Au-delà d’une décennie sans impôts, si Samsung est déjà installé aux Etats-Unis et projette de dépenser de telles sommes, c’est pour une raison évidente : il y a beaucoup de clients potentiels.

Les risques de la dépendance totale à TSMC (et l’ombre de la Chine)

Apple, AMD, Texas Instrument, IBM, Qualcomm, Nvidia, Micro, Google, Broadcom, Lattice, Marvell, Cirrus Logic, Ampere… Ok, on s’arrête là ! La liste des entreprises américaines développant leurs propres puces et qui ont des besoins de capacités de production est peut-être la plus importante au monde. Et pour produire leurs puces, ces entreprises font toutes appel à deux acteurs : Samsung et TSMC. Ce dernier a cependant clairement l’avantage en ce moment, que ce soit en matière de neutralité (Samsung produisant des smartphones, Apple tend à éviter ses services) qu’en matière de performances et rendements. Mais aussi fort que soit TSMC, cet acteur représente un risque majeur : celui de mettre tous les œufs dans un même panier. Cette dépendance à un seul acteur est d’ailleurs reconnue par les entreprises asiatiques : MediaTek vient tout juste d’annoncer un partenariat avec le service IFS d’Intel pour la production de ses puces.

Outre ce risque de concentration des pouvoirs que représente le cas TSMC, sa localisation géographique pose un problème. Un des éléments de la réussite du numéro un mondial des semi-conducteurs, c’est sa chaîne d’approvisionnement très rodée avec des sites de production très proches les uns des autres, tous sis à Taïwan. Du point de vue géologique et climatique, Taïwan subit chroniquement typhons et tremblements de terre, subit de plus en plus de sécheresse (l’eau est un élément primordial pour la production des puces). Mais elle souffre surtout de l’ombre chinoise. Si le pays est souverain, la Chine de Xi Jingping ambitionne cependant un « retour vers la mère patrie » de l’île. Par les armes, s’il le faut. Un pan entier de la doctrine militaire et des exercices de l’Armée de Libération du Peuple (nom de l’armée chinoise) tourne d’ailleurs autour de l’objectif de « récupération » de l’île. Et l’essentiel des entraînements de ses forces prend la forme d’opérations contre « une île sécessionniste et un puissant allié ». Pas besoin d’être devin pour y reconnaître Taïwan et son protecteur, les Etats-Unis.

Portée des différents missiles chinois par rapport à l’île de Taïwan.

Le gouvernement taïwanais le sait et une partie de sa doctrine de défense repose sur le Silicon Shield, c’est-à-dire l’assurance que son importance dans la production de semi-conducteurs lui assure la protection américaine. Même si les Américains apportent, et de manière de plus en plus véhémente, leur soutien à Taïwan, il n’est pas certain que le pays de l’Oncle Sam soit prêt à rentrer en guerre ouverte avec la Chine sur un front asiatique. Avoir des usines de pointe sur son territoire est l’assurance qu’en cas de conflit, les champions américains puissent continuer de produire des puces. Autant pour les produits grand public que pour les équipements militaires – TSMC grave notamment des puces pour le F35.

Intel ne sait pas (encore) travailler avec les autres

Il est un de ces champions américain qui sait lui aussi produire des puces : Intel. Et non seulement le numéro 1 mondial du secteur investit des dizaines de milliards à tout va – même en Europe et notamment en France –, mais en plus, il a lancé l’an dernier son service de fonderie, l’Intel Foundry Services. Alors qu’il ne produisait que pour ses propres besoins, le titan des puces a décidé, sous l’impulsion de son PDG, Pat Gelsinger, de concurrencer TSMC et Samsung.

Si des premières lettres d’intention – avec Qualcomm et MediaTek – ont été signées, il va falloir plusieurs années pour qu’Intel continue de progresser en technique, mais aussi apprenne à travailler avec les autres. C’est cette capacité à se mettre au service de ses clients qui est l’une des grandes forces de TSMC et de Samsung (qui grave par exemple les GeForce, de Nvidia). Or, ces compétences, à la fois humaines, techniques et organisationnelles, prennent du temps à être développées. Et se concrétisent sur des projets de plusieurs années.

Si Intel peut devenir une fonderie tierce d’importance pour venir taquiner TSMC, Samsung, UMC ou GlobalFoundries, cela prendra donc du temps. La position de Samsung est ici très forte, car le Coréen a, dans ce domaine comme dans la gravure EUV, quelques longueurs d’avance sur l’Américain.

Face à la Chine, les Américains veulent retrouver leur leadership

Ne pesant plus que 12% du volume total de puces produites contre 37% en 1990, les Etats-Unis sont en perte de vitesse dans un domaine pourtant de plus en plus stratégique. Pour les acteurs du milieu de la tech d’une part, qu’il s’agisse d’Apple, AMD ou Nvidia, mais aussi pour des secteurs de plus en plus électronisés, d’autre part. La pénurie de semi-conducteurs qui nous frappe depuis deux ans a mis à genoux l’industrie automobile dans ce que le Washington Post qualifie de « pire crise depuis 50 ans ». Forçant les constructeurs à retirer des fonctions, retirer des composants ou laisser pourrir des automobiles sur les parkings de stockage en attendant que les précieuses puces arrivent… d’Asie, pour l’écrasante majorité.

C’est pour renverser cette balance et limiter sa dépendance à des acteurs asiatiques – notamment la Chine – que le gouvernement du président Biden a lancé le CHIP Act, un plan d’aides à la filière de 52 milliards de dollars. Une opération qui, comme de nombreux projets politiques aux Etats-Unis en ce moment, traîne en longueur. L’arrivée sur la table d’un énorme plan d’investissement sur le long terme est donc, pour les autorités américaines, du pain béni. Car les plans de Samsung ne font pas mention du CHIP Act, mais s’appuient simplement sur les aides texanes.

Le plan de Samsung prendra-t-il forme ? Si oui, avec quelle ampleur : la moitié du projet ? Les presque 200 milliards promis ? Impossible à dire. Ce qui est certain, c’est qu’un tel investissement souderait encore plus les liens entre les deux pays (avec 23 000 soldats américains déployés sur son sol, la Corée du Sud est la 3e plus grosse « base » américaine après le Japon et l’Allemagne) qui forment, avec Taïwan et le Japon, un axe « anti-Chine », tant dans le domaine des semi-conducteurs que sur le plan de la défense.

Source :

CNBC



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