Quand la donnée circule en ville

Quand la donnée circule en ville


En 2012, GreenSI écrivait un billet « quand le numérique descend en ville », pour mettre le projecteur sur les débuts de la transformation numérique des collectivités. Après une première étape centrée sur la dématérialisation, elles abordaient les relations et les services numériques aux citoyens. Comme dans le privé, cette transformation n’est possible qu’avec une maîtrise des données, mais aussi par leur circulation au sein des systèmes complexes qu’elles gèrent : les villes, villages et métropoles.

Dix ans plus tard, cette transformation est maintenant bien entamée. La sortie du livre « Quand la donnée arrive en Ville » d’Antoine Courmont, responsable de la chaire Villes et numérique de Sciences Po,  est l’occasion de faire un point sur les enjeux de la donnée au sein des territoires depuis les débuts de l’open data. Au menu, les politiques autour des données urbaines traitées par cet ouvrage, mais également la vision de GreenSI sur les fonctions collaboratives assurées par ces données dans l’écosystème des acteurs de la ville.

Et puis ce mois d’avril marque le « printemps de data.gouv.fr« , la plateforme de l’État en charge de l’ouverture des données, qui a fêté ses 10 ans, se propose ces 3 prochains moins de contribuer à faire circuler les idées sur son avenir et celui des données publiques.

Alors que s’est-il passé dans la donnée urbain, depuis que la ville pionnière, Rennes, a ouvert ses données en 2010 ?

L’approche proposée par Antoine Courmont est une approche de sociologie politique des données, qui ne se limite pas à l’aspect technique, et découpe le cycle de vie de la donnée en 3 grandes parties :  l’attachement, le détachement et le ré-attachement.

Il nous rappelle que les données ne sont pas indépendantes de tout, mais bien attachées à des infrastructures, à des personnes ou à des pratiques qui les produisent. L’oublier et tenter directement de les réutiliser, c’est courir à l’échec de leur réutilisation immédiate hors contexte. L’année qui vient de s’écouler, et qui au quotidien a partagé les données de santé, dont se sont emparés les journalistes et même des datascientists indépendants (comme Covidtracker), nous a régulièrement montré l’importance de la compréhension du contexte de production :

  • des données des EPHAD, qui n’ont pas été consolidées au départ alors que ces populations était plus fragiles, faussaient la vision nationale,
  • des données qui ne remontent pas aussi rapidement le week-end, gonflent les chiffres du lundi et sous-estiment ceux du vendredi au dimanche,
  • des évolutions permanentes des méthodes de collecte et de calcul, compliquant les comparaisons dans le temps.

L’idée de la réutilisation des données, et donc de leur circulation, doit passer par un « détachement » de cet environnement initial.

Elles deviennent alors des ressources économiques qui ont besoin d’un instrument, comme une licence, une équipe dédiée à leur ouverture, une plateforme ou encore une place de marché quand il s’agit de données pouvant être valorisées.

C’est lors de cette interface de « détachement » que l’open data « théorique » a été mis à rude épreuve ces dix dernières années. Il n’a pas totalement fonctionné si la collectivité n’y a pas mis des moyens pour cela, malgré un contexte règlementaire ambitieux. Les politiques d’open data ont conduit à une prise de conscience, pour au moins 700 collectivités (10%) ayant ouvert des données, sur les enjeux sur la gouvernance des données.

Mais la progression de l’ouverture des données des collectivités est très faible, au rythme étrangement constant d’environ 120/an constate l’association Opendata France. À ce rythme, il faudra 30 ans pour arriver à l’obligation d’ouverture des collectivités de plus de 30.000 habitants. L’open data cherche donc un second souffle pour structurer ce détachement, comme le traitait GreenSI en 2019, sur le plan technique, avec l’arrivée de l’open API (l’open data s’essouffle mais « closed data » arrivent) et des plateformes du privé.

Le domaine qui a jusqu’à présent le mieux réussi ce détachement et montré l’intérêt de la circulation des données, est celui de la mobilité.

La récupération des données des offres de transports pour développer des services multimodaux, s’est appuyée sur l’open data, sur des plateformes d’intermédiation d’acteurs privés français comme Navitia.io, dans un domaine où Google est très présent (Maps et Waze) et tentent de pousser ses propres standards jusqu’aux collectivités.

L’association, public et privé, est ici un élément clef du dynamisme, comme la crise Covid-19 l’a été pour les données de santé en 2020. Cependant, elle pose également des questions légitimes sur qui pilote réellement la gouvernance urbaine, quand les données jouent et joueront un rôle toujours plus grand, si la collectivité n’est pas impliquée dans leur circulation.

Ce travail de « détachement » des donnés est donc essentiel. Les collectivités qui mettent en œuvre une politique d’open data devront s’organiser pour la gérer, sur le plan technique (plateformes) mais aussi organisationnel (conformité, standards, documentation, …), et ainsi amorcer une gouvernance des données ouvertes.

Enfin, ces données ouvertes peuvent être à nouveau « réattachées » à un nouveau contexte, quand l’offre rencontre une demande et donc des ré-utilisateurs.

À l’échelle des territoires, les premiers usages opérationnels concernent la coordination entre des acteurs, avec des gains en coûts de coordination à la clef.

Les données circulent par exemple entre l’usager (qui fait un signalement), la collectivité (qui qualifie et organise la réponse en fonction de la répartition des compétences entre les acteurs), et l’opérateur en charge du service urbain concerné (qui reçoit une demande). Les opérateurs rendent aussi des comptes à la collectivité (extranet) qui parfois organise la coordination (multi-services) entre ces opérateurs, par exemple pour l’occupation de l’espace public ou les travaux.

Signalements, demandes, extranet, open data, multi-services, autant de mécanismes d’échanges de données devenus essentiels pour la coordination des activités du territoire. À Dijon et Angers, une nouvelle forme d’organisation des services est même apparue avec les « hyperviseurs« , sortes de « tours de contrôle » du fonctionnement des services urbains. La modernisation autour des données sert donc les services de la collectivité, mais également les acteurs externes et contribue au dynamisme numérique des territoires.

L’acculturation des agents pour faire ce détachement est donc un nouvel enjeu des collectivités, passant par l’animation, la pédagogie et plus globalement l’accompagnement. L’accompagnement des collectivités de petites tailles a été initié par l’association Opendata France en 2013 pour aider à comprendre, produire et réutiliser les données, créant un réseau d’acteurs opérationnels. Beaucoup de travail reste à faire.

Pour GreenSI, la vision d’attachement, détachement et ré-attachement, ce cycle de vie de la donnée qui circule, nous éclaire sur les moyens et les difficultés de cette circulation.

L’open data aura été pour certains un premier allumeur du moteur de la gouvernance urbaine par les données. La transformation numérique des territoires, des services urbains et des opérateurs de ces services, vont maintenant le faire tourner à plein régime pour satisfaire les besoins de collaboration et de coordination à l’échelle des territoires numériques et intelligents (def: qualité de l’esprit qui comprend et s’adapte facilement).

Une intelligence devenue collaborative par la circulation des données.





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