A la fin des années 1980, les règles du jeu changent brusquement pour les musiciens. Pour créer des chansons, il fallait jusqu’alors maîtriser un instrument. Mais soudain, avec l’arrivée des premiers sampleurs à prix accessible, il devient possible de piocher un fragment sonore (un « sample ») dans n’importe quel disque, puis un deuxième, un troisième… et de les assembler dans une boucle sonore. L’ère du collage est ouverte !
Cette pratique n’est pas tout à fait nouvelle, mais jusqu’à cette époque les outils du colleur étaient difficiles d’accès : dans les années 1960, il fallait jongler avec les bandes magnétiques ; dans les années 1970, il fallait pouvoir s’offrir l’un des tout premiers sampleurs numériques, comme le Synclavier (200 000 euros actuels environ) ou le CMI (100 000 euros actuels environ).
Certes, dans le Bronx, à New York, certains ont déjà appris à ruser. Dès 1973, DJ Kool Herc diffuse en public des passages rythmiques qu’il juge remarquables, des « breaks », les prolongeant durant de longues minutes en enchaînant deux disques identiques sur deux platines. Bientôt, lui et d’autres disk jockey pionniers comme Grandmaster Flash ou Afrika Bambaataa offrent aux spectateurs d’étonnants voyages dans le temps et l’espace. « Là où Georges Harrison achète un sitar indien et apprend à jouer de cet instrument pour l’incorporer dans la musique des Beatles, un DJ peut s’acheter de multiples disques d’origines culturelles diverses », analyse le musicologue Sébastien Lebray.
Toutefois, les possibilités de collage demeurent limitées avec le disque, et l’arrivée du sampleur est providentielle : les DJ peuvent désormais mélanger les fragments sonores avec facilité et précision. « La musique devient un art plastique, résume au Monde Doctor L, beatmaker du crew français pionnier Assassin. On peut faire des associations magiques en mélangeant Bob Marley avec Jimi Hendrix, par exemple. Ça nous pousse à dénicher des samples dans des disques funk, disco, blues, jazz de nos grands-parents pour fabriquer nos banques de sons. » La chanteuse et musicienne Princess Erika, qui a vu émerger cet outil et en possède un, parle même de « bouleversement ». C’est le début de « l’âge d’or du hip-hop » .
La révolution MPC
La machine emblématique de cette époque aurait pu être fabriquée par la marque californienne E-MU, qui vend des sampleurs à clavier dès 1981. Son premier sampleur rythmique commercialisé en 1986, le SP-12, séduit effectivement les DJ, tout comme son successeur, le SP-1200, sorti en 1987. Mais c’est la marque japonaise Akai, associée à l’inventeur californien Roger Linn, qui impose son Music Production Center, baptisé MPC-60, comme standard, en 1988 – même si son prix, 12 000 euros actuels, est deux fois plus élevé. Avec le MPC-60, « une personne seule pouvait faire de la musique, ce qui était nouveau pour l’époque, se souvient Roger Linn, interrogé par Le Monde. C’était la machine la plus complète de son époque, vous n’aviez plus qu’à la brancher à une sono. »
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