En 2004, la Grèce a remporté l’Euro de football, Lance Armstrong le Tour de France, et deux émissions cultes se sont arrêtées après respectivement dix et sept saisons : la série Friends et « Le Bigdil ». C’est aussi l’époque du boom des « jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs » (ou MMORPG), ces jeux vidéo qui rassemblent des centaines de milliers d’internautes passionnés, prêts à passer des nuits blanches dans des univers fantaisistes. Fantaisistes ? Pas tant que ça. En 2004, sur le forum de discussion du jeu Final Fantasy XI (sorti deux ans plus tôt), le cri du cœur d’un dénommé Berticus résonne : « Mais que diable se passe-t-il avec les prix de la maison d’enchères ? »
La maison d’enchères est le cœur de l’économie du jeu du studio Square Enix. Un grand marché où échanger des objets virtuels en utilisant des « gils », une monnaie fictive. Dans Final Fantasy XI, les prix sont fixés par les joueurs. Pour Berticus, ceux-ci sont devenus bien trop élevés. « Le Peacock Charm est passé de 5 à 10 millions de gils en moins de dix ventes, le Vermillon Cloak allait jusqu’à 3,5 millions ce matin (…). Je me demande si cette hausse va s’arrêter un jour », s’inquiète le joueur. Et il n’est pas le seul. Entre 2004 et 2006, Final Fantasy XI a expérimenté une explosion des prix des objets, armes et armures vendus aux enchères, et une baisse de la valeur du gil. Autrement dit : le jeu a connu une très forte inflation.
Dysfonctionnements des économies virtuelles
L’inflation est, aujourd’hui encore, un des principaux fléaux menaçant les économies virtuelles les plus complexes. On en trouve des exemples aussi bien dans Final Fantasy XI que sur l’ancien réseau social Gaia Online, en passant par des grands noms du MMORPG, comme World of Warcraft, Ultima Online et EverQuest. Souvent, le phénomène inflationniste est passager, réglé à la marge par les développeurs. Parfois, il peut tuer une économie, voire le jeu.
L’origine des dysfonctionnements des économies virtuelles est pourtant plus simple à identifier que ceux de la nôtre, estime Edward Castronova, chercheur à l’université de l’Indiana (Etats-Unis) et pionnier de l’étude économique des jeux en ligne.
« Dans le monde réel, il y a des débats sur la façon dont l’économie fonctionne, on cherche à déterminer si tel facteur est plus important qu’un autre. Ce problème n’existe pas dans les économies virtuelles, parce que tout est écrit dans des lignes de code. »
Ainsi, pour le chercheur, les mondes virtuels « se conforment très fidèlement à la théorie monétariste de [l’économiste libéral] Milton Friedman », qui veut que l’inflation soit fondamentalement provoquée par l’augmentation de la masse monétaire.
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