Maniant des montagnes de documents, les professionnels du droit devraient être intéressés en premier chef par les gains apportés par l’IA générative. Les grands modèles de langage (LLM) peuvent, a priori, leur faire gagner un temps précieux qu’il s’agisse de synthétiser un texte de loi, générer automatiquement des accords de confidentialité, rédiger une ébauche de contrat, chercher un point précis dans un corpus de décisions judiciaires ou assurer une veille réglementaire.
Pour autant, les avocats et les juristes ne sont pas connus pour leur technophilie. Un constat que ZDNet dressait déjà en 20216. Cette profession réglementée fait même figure de parent pauvre de la transformation numérique.
La dernière enquête de l’éditeur spécialisé Wolters Kluwer, qui a interrogé 700 professionnels du droit aux États-Unis et en Europe, montre pourtant une industrie confiante dans sa capacité à maîtriser les nouvelles technologies.
L’IA générative utilisée par trois-quarts des juristes
76 % des juristes et 68 % des avocats interrogés déclarent utiliser l’IA générative au moins une fois par semaine. 35 % des directions juridiques et 33 % des cabinets d’avocats l’utilisent même quotidiennement. Les principaux cas d’usages portent sur la réduction des tâches manuelles et chronophages et l’analyse d’un grand volume d’informations.
Plus de la moitié des cabinets d’avocats (58 %) et près des trois quarts des directions juridiques (73 %) prévoient d’ailleurs d’augmenter leurs investissements dans l’IA au cours des trois prochaines années.
Cependant, 37 % des cabinets d’avocats et 42 % des directions juridiques déclarent rencontrer des difficultés pour intégrer l’IA générative dans leurs systèmes et processus juridiques existants.
Risques d’hallucination et de fuite de données
Une partie du défi lié à l’intégration de l’IA générative consiste à savoir comment utiliser la technologie de manière responsable et éthique. Son appropriation suppose un programme d’accompagnement au changement. Or, selon l’étude de Wolters Kluwer, 30 % des cabinets d’avocats et des directions juridiques ne proposent pas actuellement de formation pour encadrer son usage.
Les doutes quant à la qualité des résultats de l’IA générative ont été exprimés par 41 % des répondants des cabinets d’avocats – un sentiment partagé par 37 % des directions juridiques. Les juristes peuvent être victimes collatérales des hallucinations des LLM. Comme le révèle Le Figaro, un cabinet d’avocats new-yorkais a cité des arrêts de jurisprudence, suggérés par ChatGPT, mais qui n’ont jamais existé.
Augmentant le risque de violation, la généralisation des LLM pose aussi une enjeu de confidentialité et d’intégrité des données. Maniant des informations particulièrement sensibles, les cabinet d’avocats constituent une cible privilégiée des cybercriminels et des hacktivistes comme le signale l’Anssi dans un document de juin 2023. Des esprits mal intentionnés peuvent vouloir les extorquer, dérober des informations sur des procédures en cours ou compromettre leurs clients en rendant publics des documents confidentiels.
Remise en cause du modèle de facturation
Par ailleurs, l’IA générative remet en cause le modèle économique même des cabinets d’avocats basé sur la facturation au temps passé. Si une IA est capable d’effectuer en quelques minutes des tâches exigeant jusqu’alors une demi-journée, peuvent-ils encore facturer à l’heure ? Plus de la moitié des participants à l’enquête (56 %) se disent bien préparés à ajuster leurs pratiques commerciales et leurs modèles de tarification en tenant compte de la nouvelle donne.
Enfin, se pose la question de l’emploi. Si l’IA automatise les tâches chronophages jusqu’alors dévolus aux juristes juniors, que deviendront ces derniers ?
Ils ne seraient pas les seuls concernés. Selon une étude de 2023 de Goldman Sachs, jusqu’à 44 % des tâches effectuées par les professionnels du droit pourraient être prises en charge par l’intelligence artificielle générative.