Pour une fois, les rôles semblent inversés. L’application chinoise TikTok, dont le fonctionnement est régulièrement imité par les applications concurrentes, comme dernièrement Instagram, a à son tour introduit, jeudi 15 septembre, une nouvelle fonctionnalité directement inspirée d’une autre application : BeReal.
Avec TikTok Now, les utilisateurs peuvent désormais capturer des images simultanément avec les objectifs à l’avant et à l’arrière de leur smartphone. Cette nouvelle fonctionnalité est censée permettre de partager « vos moments les plus authentiques avec les personnes les plus importantes pour vous », explique un communiqué de l’entreprise. « Vous recevrez une invitation quotidienne à capturer une vidéo de dix secondes ou une photo pour partager facilement ce que vous êtes en train de faire », détaille-t-elle. Cette nouvelle option n’est pour l’heure en déploiement qu’aux Etats-Unis.
La double image (selfie et environnement), les rappels quotidiens, la promesse d’authenticité : comme Snapchat et Instagram avant elle, TikTok reprend, en fait, les mêmes caractéristiques et arguments commerciaux qui ont fait la recette de BeReal, le réseau social lancé par deux Français en 2020 et qui remporte un certain succès, particulièrement aux Etats-Unis.
Présenté comme une réponse à Instagram
Sur BeReal, les utilisateurs sont, en effet, invités à publier chaque jour une photo en utilisant simultanément les caméras avant et arrière de leur appareil. Dès la réception de la notification, envoyée à une heure différente chaque jour, ils ont deux minutes pour prendre leur photo et la publier. Il est toujours possible de poster un cliché a posteriori mais ce dernier sera alors assorti d’une mention du délai. L’utilisateur peut choisir, soit de publier sa photo de façon que seules les personnes qu’il a acceptées en amis puissent réagir, soit de la diffuser en mode public. La photo apparaît alors dans le fil découverte, sur lequel les contenus des utilisateurs défilent de manière aléatoire.
Selon ses fondateurs, Alexis Barreyat et Kévin Perreau, BeReal a été créé en 2020 comme une réponse directe aux filtres, aux formats et au business de l’influence qui s’est emparé des réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat et TikTok. « On ne veut ni voler du temps ni de l’attention. Tu te connectes, trois minutes plus tard c’est terminé », assurait ainsi Alexis Barreyat dans une interview donnée à Ouest-France en 2021.
Le groupe Meta, maison mère d’Instagram, a pour habitude de « s’inspirer » des innovations observées ailleurs. Instagram a ainsi déjà copié dans le passé les stories de Snapchat (format éphémère), puis les vidéos courtes et divertissantes de TikTok avec ses reels, modifiant récemment son algorithme afin de proposer dans le fil des utilisateurs davantage de contenus vidéos à potentiel viral, et moins de contenus postés par les comptes suivis. Il a également conçu en interne un prototype d’invitation à partager un moment authentique, comme BeReal, baptisé Candid.
La décision de TikTok d’imiter l’application française paraît plus étonnante, la plate-forme chinoise se considérant moins comme un réseau fondé sur les interactions entre utilisateurs que comme « une plate-forme de divertissement », selon les mots de Blake Chandlee, le président des affaires à l’international de l’entreprise, dans une interview accordée en juin à la chaîne américaine CNBC.
Quel modèle économique ?
BeReal était, au début de septembre, l’application mobile la plus téléchargée aux Etats-Unis (iOS et Google Play confondus) et figurait dans le top 3 en France et au Royaume-Uni. Selon des données fournies par le cabinet spécialisé data.ai, elle totalise près de 35 millions d’installations depuis son lancement. Des chiffres qui ne reflètent toutefois pas nécessairement le nombre réel d’utilisateurs, et qui sont aussi à mettre en perspective avec ceux de ses concurrentes : d’après le cabinet Statista, Instagram et Snapchat cumulent respectivement un milliard et 420 millions d’utilisateurs mensuels.
Malgré sa popularité naissante, BeReal verrouille sa communication et ses dirigeants n’accordent depuis quelque temps plus d’interviews aux médias. En guise de réponse à une demande de l’Agence France-Presse (AFP), BeReal a ainsi fait parvenir une succincte fiche d’information détaillant le fonctionnement de l’application. Une recherche sur le réseau social professionnel LinkedIn permet de noter que la start-up emploie aujourd’hui au moins 121 personnes.
A l’été 2021, la société a levé 30 millions de dollars auprès de plusieurs investisseurs, dont le fonds américain de capital-risque Andreessen Horowitz et Kima Ventures, la holding spécialisée dans le capital d’amorçage de Xavier Niel, fondateur de Free et également actionnaire à titre individuel du Monde. Après une dernière levée de fonds en mai, BeReal est actuellement valorisée à 600 millions de dollars.
Reste que rien de précis n’a filtré pour l’heure du modèle économique imaginé à terme pour BeReal, qui demeure entièrement gratuite. Dans les conditions générales de l’application, il est écrit à l’attention des internautes « que BeReal ne vendra jamais vos données à des tiers, ni ne les traitera d’une manière dont vous ne seriez pas informé ». Un point d’autant plus crucial que les réseaux sociaux concurrents, comme Facebook, assurent une apparente gratuité en faisant, en réalité, commerce des données personnelles de leurs utilisateurs.