La start-up Nikola qui se rêvait en grand constructeur de voitures électriques et de camions à hydrogène a plongé dans la tourmente en quelques jours. La faute à une série de mensonges, parfois sous nos yeux, concernant l’avancée de ses technologies.
Le cofondateur et ancien patron de Nikola Trevor Milton peut se réjouir d’avoir évité la peine la plus lourde, à 11 ans d’emprisonnement. Le 17 décembre dernier à New York, sa sentence a été proclamée et il séjournera en prison pendant une durée de 4 ans, en plus de devoir payer une nouvelle amende d’un million de dollars. Les procureurs avaient pourtant demandé au juge de prendre en compte « le profond déni de responsabilité et l’insistance de Trevor Milton à blâmer les autres ». Les avocats de l’homme d’affaires, eux, luttaient pour qu’il puisse être totalement écarté d’une peine de prison.
Cette décision est un point final dans l’affaire de la fraude de Nikola en septembre 2020. Alors cotée en Bourse depuis peu, la startup annonçait un partenariat avec General Motors, pour une commande de camions et une entrée au capital. L’action de l’entreprise s’envolait, jusqu’à ce que la société Hindenburg Research, spécialisée dans la recherche et l’investissement par vente à découverte activiste, vienne tout chambouler. Dans un rapport, elle fut alors la première à dénoncer « une fraude complexe basée sur une série de mensonges ». Parmi eux : un spot publicitaire truqué.
L’urgence de satisfaire les actionnaires et de se montrer capable de proposer des technologies à la pointe avaient poussé Nikola à mentir. Dans une vidéo démontrant la capacité de l’un de ses camions à avancer grâce à la l’hydrogène, les équipes avaient en fait utilisé une pente pour que le semi-remorque puisse la dévaler en roues libres. Sous son capot, il n’y avait pas encore le moteur à pile à combustible pourtant promis par la marque.
Hindenburg Research jugeait que Nikola avait « induit ses partenaires en erreur […] en prétendant faussement disposer d’importantes technologies », aussi bien que son patron Trevor Milton eût placé certains proches tels que son frère à des postes techniques dans la direction « sans que ce dernier n’ait l’expertise requise ». Dans un premier temps, ce fut le gendarme des marchés financiers américains qui partit enquêter. Le constructeur se défendait en rétorquant qu’ils n’allaient pas vaciller « à cause d’un rapport rempli d’informations trompeuses visant à manipuler notre action ».
Une éviction déguisée en démission, puis la prison
Pendant cette longue enquête, qui s’est poursuivie de septembre à décembre, Nikola et General Motors n’ont fait que repousser leur finalisation de leur l’accord. Trevor Milton démissionnait le 20 septembre au moment où Nikola tentait de rassurer tout le monde. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait en fait d’une éviction. Le début d’une chute qui s’aggravera avec le retrait du contrat de General Motors annoncé début décembre 2020. Le constructeur américain finit par fournir à Nikola ses propres systèmes de piles à combustible au lieu de lui acheter des camions et investir dans son capital.
Jusqu’à ce jour, Nikola n’a jamais disparu. La société a même traversé avec brio les difficultés de la pandémie et de la pénurie de composants, grâce à Bosh. En remplacement de General Motors, Nikola a pu perdurer dans le temps en construisant des camions à hydrogène avec les piles à combustible de l’équipementier, dans une usine en Allemagne. Deux modèles sont disponibles : les TRE et Two FCEV. L’Italien Iveco, investisseur de Nikola depuis 2019 à hauteur de 6,7 %, s’est aussi montré d’un grand soutien. C’est notamment lui qui a fourni à Nikola la plateforme de son poids lourd pour construire le modèle TRE.
Aujourd’hui, Trevor Milton se proclame toujours victime de cette affaire. « Je n’avais l’intention de faire de mal et je n’ai pas commis les crimes qui me sont imputés », déclarait-il face au juge au tribunal de Manhattan à New York, le 17 décembre. Depuis qu’il avait fait appel en octobre 2022, l’homme de 41 ans était en liberté conditionnelle. Tandis que son avocat arguait sur le fait qu’il n’avait pas cherché à manipuler les cours, Trevor Milton se présenta en larme lors de l’audience, déclarant avoir « un coeur d’artichaut » pour tenter de susciter plus de clémence.
Mais le procureur fédéral Damian Williams écrivait, dans un communiqué publié après la condamnation, que l’ancien patron avait « menti aux investisseurs encore et encore, – sur les réseaux sociaux, à la télévision, dans les podcasts et par écrit », afin de faire monter l’action de Nikola, qui atteignait alors des sommets, avec une capitalisation de plus de 13 milliards de dollars. Le procureur fédéral en profitait alors pour avertir les autres startup en mal de financement, attiré par l’accessibilité de la Bourse par des systèmes comme les SPAC (qu’a utilisé Nikola).
« La condamnation d’aujourd’hui devrait servir d’avertissement aux fondateurs de start-up et aux dirigeants d’entreprises. Faire semblant jusqu’à la réussite n’est pas une excuse pour commettre une fraude, et si vous mentez aux investisseurs, il vous en coûtera très cher », écrivait-il.