Difficile d’échapper au plan de communication et au battage médiatique entourant la sortie du livre de l’ancienne ministre de la Culture Roselyne Bachelot. L’exercice étant d’autant moins aisé que cette dernière est redevenue la chouchoute des éditorialistes. Avouons-le : le titre donnait envie. Mais, non seulement il ne tient pas ses promesses, mais, il met en rage.
Une ministre hors-sol
Je déteste parler à la première personne dans cette chronique. Tout comme je déteste l’expression hors-sol pour parler du personnel politique. Je vais aller contre ma nature, car je ne peux pas expliquer au lecteur pourquoi j’ai détesté le livre de Roselyne Bachelot, sans fournir quelques informations. En premier lieu, ce n’est pas un secret, j’ai travaillé à l’HADOPI. Autant vous dire que j’ai vu tout ce qu’il y avait de plus détestable dans l’écosystème français de la culture : clientélisme, passe-droits, prédations, mépris du public, argent public gaspillé. Gardez ces éléments à l’esprit pour comprendre le reste de ces lignes.
Je déteste également l’expression « hors-sol », amplement utilisée sous la XVe législature, pour désigner les députés de la majorité présidentielle. Je suis bien placée pour savoir que nous n’avons pas eu que des lumières à l’Assemblée nationale entre 2017 et 2022. Mais, j’ai aussi côtoyé des députés qui avaient une vision des choses très justes, qui m’ont même fait changer d’idées sur certains sujets. Oui, ils étaient amateurs, oui, ils étaient novices en politique, mais non, ils étaient beaucoup moins déconnectés que certains dinosaures de la politique qui continuent à sévir dans le débat public ou certains « confrères » qui s’imaginent qu’ils ont besoin d’un visa et d’une valise diplomatique pour franchir le périphérique parisien.
Pourquoi qualifier Roselyne Bachelot d’hors-sol dans son livre ? Elle explique sa douleur, au moment de l’épidémie de COVID, de voir les artistes, notamment les artistes lyriques, perdre des contrats et des cachets et devoir se reconvertir en livreurs de fast-food pour payer leurs factures. Si je peux comprendre que lorsqu’on a donné toute sa vie pour son art, se retrouver temporairement sur le carreau est douloureux, j’ai du mal à pleurer. J’ai d’autant plus de mal à pleurer que dans mon département, la Seine–Saint-Denis, les autorités préfectorales ont craint des émeutes de la faim. En France, en 2020. Je n’arrive toujours pas à oublier cet épisode.
Le livre frôle même l’indécence par moments. L’ancienne ministre de la Culture aligne les sommes que son ministère a déboursés pour tel ou tel projet. Cet argent ne se compte pas en millions, mais en milliards. On pourrait croire qu’au bout de dix ans de projets de loi de finances, je serai vaccinée par les chiffres. Mais, je souffre d’une forme de schizophrénie, car tous les jours, depuis six mois, on me parle inflation, hausse de facture, baisse du pouvoir d’achat et que tous les jours, je reçois des emails de mes donateurs, qui m’expliquent qu’ils ne peuvent plus soutenir le Projet Arcadie parce qu’ils ne bouclent plus leurs fins de mois.
Le numérique, le grand méchant
Si le livre parle beaucoup du théâtre, de l’opéra, du ballet, un peu du cinéma et des musées, il y a un secteur, relevant pourtant du ministère de la Culture qui est totalement ignoré par l’ancienne ministre : le jeu vidéo. Il n’y a pas une seule ligne consacrée à un domaine où la France peut fièrement claironner cocorico, qui est un loisir culturel accessible au plus grand nombre et qui est plébiscité par la majorité de la population. Quant aux auteurs, nous avons droit à une rapide mention pour parler du rapport Racine.
Aucune mention pour les traducteurs, qui sont un rouage essentiel de l’édition, ni des correcteurs. La bande dessinée est également oubliée, alors qu’elle a les mêmes caractéristiques que le jeu vidéo. Quant aux journalistes et aux médias, disons qu’on parle de nous, surtout pour dire qu’on est malfaisant. « Des journalistes malfaisants — un pléonasme » écrit-elle précisément. Quand on voit les mines réjouies, les sourires enjôleurs et les flatteries qui sont dispensées à l’égard de Roselyne Bachelot, il est évident que les journalistes n’ont pas lu le livre. Quant à être bienveillants, en réalité, ce n’est pas le travail d’un journaliste.
Et justement, que pense l’ancienne ministre de la Culture du numérique ? Attention, ça va tanguer. Les réseaux sociaux ? Une machine à abrutir les individus. Les GAFAM et Netflix ? Des prédateurs qui ne veulent que la mort des créateurs et ne songent qu’à spolier l’État français de ses trésors culturels. La rémunération copie privée ? Une formidable avancée pour les artistes et la refuser sur le matériel reconditionné est une absurdité, car cela revient à voler les artistes. Oui, le parallèle avec le vol dans un magasin Monoprix est bien écrit tel quel dans le livre. Quant au Parti Pirate, ils ne sont que des guignols qui n’ont rien compris à la culture — en référence à leur élection au Parlement allemand.
Le passage le plus délirant est probable la rencontre avec les directeurs de Free, MyCanal et Molotov TV. Au début de la guerre en Ukraine, la ministre leur a demandé de suspendre la diffusion de Russia Today, devenu RT France, ainsi que de Sputnik. Comme n’importe quel directeur vaguement intelligent, ils brandissent l’injonction de l’ARCOM, seule entité habilitée à leur dire quoi faire.
Juridiquement, ils ont parfaitement raison. C’est un débat qui surgit d’ailleurs très souvent sur Twitter ou chez les hébergeurs : on ne peut pas suspendre un contenu de façon arbitraire. Il faut une décision. Roselyne Bachelot n’en a pas cure et les accuse de médiocrité et de frilosité, oubliant que si les diffuseurs avaient suspendu de leur plein gré, sans décision, les chaînes russes, ils s’exposaient à des poursuites judiciaires.
On peut faire le procès du numérique en matière culturelle et en France, on ne se prive jamais de le faire. Mais, qu’il soit équitable. Combien, grâce au numérique, ont pu avoir accès à des œuvres littéraires, à des œuvres graphiques, à des œuvres cinématographiques ? Combien sommes-nous à consulter quotidiennement l’une des plus belles œuvres du Web, à savoir Wikipédia ? Combien ont découvert que les œuvres classiques tombaient dans le domaine public et étaient désormais accessibles grâce à quelques clics de souris ?
L’Ancien monde doit laisser la place
Le livre est vendu comme étant un pamphlet, non seulement envers le monde de la culture, mais aussi, envers le monde politique. Afin de bien comprendre qui est Roselyne Bachelot, j’invite le lecteur à consulter sa biographie sur Wikipédia. Et pour ceux qui auraient la flemme — on vous pardonne — on résumera en disant qu’elle est née dans une famille où la politique faisait partie du quotidien. C’est plus facile d’entrer en politique — même en étant une femme — quand papa était copain avec le général. On respecte son parcours politique. Dès lors, pourquoi cracher comme elle le fait sur les députés de la XVe législature ?
Décrits comme paresseux, arrogants, pour ne pas dire nuls, on en vient à douter qu’elle parle de parlementaires qui étaient du même bord politique qu’elle. Qu’est-ce que ça aurait si ça avait été des adversaires. Elle parle de ces anciens mandats et explique qu’à l’époque, les députés ne comptaient pas leurs heures et leur engagement. Remettons l’église au milieu du village (et si vous lisez le livre, vous comprendrez pourquoi j’utilise spécifiquement cette expression) : à son époque, les députés (et les sénateurs) cumulaient les mandats, et les indemnités sans aucune limite. La réserve parlementaire n’était pas surveillée et permettait allégrement d’acheter les voix aux élections.
À son époque, l’indemnité représentative de frais de mandat permettait de doubler les indemnités parlementaires et même de s’acheter des biens immobiliers. À son époque, on faisait travailler, parfois fictivement, femme, enfants et maîtresse, au Parlement ou à la mairie, quand ce n’était pas les deux. À son époque, nos députés point fr n’existait pas et il fallait lire les comptes rendus de séance pour avoir une vague idée de qui était présents en séance. À son époque, le cumul des mandats permettait à n’importe quel élu de donner une place en crèche, en HLM, un emploi à la mairie en échange de voix. À son époque, les anciens parlementaires conservaient des avantages, y compris financiers, après leur mandat. Je n’ai pas écrit 10 % des dérives que j’ai pu voir ou entendre dans les lignes précédentes. Je ne suis pas nostalgique de cette époque.
Les députés de la XVe, je l’ai souvent écrit, ont servi de crash-test. Ils n’ont pas tout bien fait. Sur la réforme du mandat et des institutions, on a encore beaucoup de chemin à faire, on part de très loin. Et quand on devient ministre, au milieu d’une épidémie, on peut faire preuve d’un minimum de retenue. Sauf quand on s’appelle Roselyne Bachelot manifestement. Le lecteur ne le sait peut-être pas, mais les ministres reçoivent à l’avance les questions lors de la séance de questions au Gouvernement. Pour sa première séance de QAG, Roselyne Bachelot trépigne de ne pas en avoir et déplore que toutes les questions des députés portent sur la gestion de l’épidémie. Alors pardon, mais on était vraiment en plein dedans au moment du Gouvernement de Jean Castex.
Ne cherchez pas des potins ou de bonnes flèches dans ce livre, honnêtement, il y en a très peu et la plupart ont été dévoilées dans la presse. Quant au style, on va dire que je suis de parti pris et que je manque de neutralité. Je n’ai pas été subjuguée. Je dirai même déçue. Je m’attendais à ce qu’un personnage qui a traversé la Ve République ait plus de pudeur et de hauteur de vue. En réalité, elle est la caricature des personnes qu’elle décrit. C’est une grande déception. Quant au fonctionnement du ministère de la Culture, oubliez. On ne comprend rien, on ne sait pas qui fait quoi, on ne sait même pas ce qu’il y a dans le portefeuille.
On espère que ce livre sonnera une retraite bien méritée.
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