A première vue, « Magasin de L’Info » ressemble à des milliers d’autres pages Facebook virales. Suivie par plus de 14 000 personnes, elle publiait, au moment de sa création en mai et alors qu’elle s’appelait encore « Théo Comédie », des contenus de mauvaise qualité (« nos stars avant et après, regardez jusqu’à la fin ») souvent repris d’autres fermes à contenus et destinés à susciter partages et réactions. Pourtant, plus récemment, sous son nouveau nom qui fait penser à une chaîne d’actualité, elle s’est mise à partager frénétiquement des vidéos ayant toutes trait à la guerre en Ukraine et à la Russie.
Ce curieux virage n’est pas innocent. Dans un rapport publié vendredi 28 juillet, l’ONG Reset Tech a identifié 57 pages Facebook utilisant ces derniers mois des méthodes similaires pour promouvoir, notamment, les intérêts de la Russie. Leur cible, les pays d’Afrique francophone, dans lesquels ces pages s’attellent principalement à amplifier la voix de la Russie mais aussi à critiquer l’Occident. « Un élément-clé des discours ciblant les populations locales est que la Russie est le vrai ami et allié, aidant les pays africains à s’élever contre l’hégémonie coloniale française et occidentale sur le continent », explique le rapport de Reset Tech. L’ONG estime qu’entre mars et juin, ce réseau a publié plus de 11 000 messages sur Facebook et généré plus de neuf millions d’interactions.
Une tactique en deux temps
Toutes ces pages utilisent la même stratégie, se présentant d’abord comme des comptes partageant des contenus humoristiques, motivants ou viraux, avant de changer de nom et de se mettre à relayer des vidéos sur la guerre en Ukraine ou la politique internationale. Pour l’ONG, cette tactique répandue serait utilisée bien au-delà du champ des pages Facebook étudiées lors de cette enquête. « Notre analyse a révélé plusieurs autres réseaux de pages Facebook employant les mêmes techniques “d’appât” », explique Reset.
Les contenus politiques et d’actualité publiés par ces pages sont pour l’essentiel des vidéos, parfois reprises de médias généralistes comme Euronews et France 24, souvent remontés. Mais on y trouve aussi des vidéos directement issues de médias russes, ou provenant d’influenceurs prorusses, parmi lesquels le Français Florian Philippot. La campagne de désinformation pro-Kremlin « Doppelgänger », s’appuyant sur des publicités Facebook et longuement auscultée par Le Monde, republiait elle aussi de nombreux contenus provenant de l’homme politique d’extrême droite.
Un média très suivi sur YouTube
Un autre média revient régulièrement dans les fils d’actualité de ces pages Facebook : Ebene Media. Ce site d’information inconnu est apparu en 2021 et compte, sur YouTube, plus de 365 000 abonnés. Toutes les vidéos, au montage codifié et utilisant un habillage criard, sont commentées par une voix générée par un logiciel – une pratique très courante dans ce genre de campagnes de désinformation. Ces vidéos sont beaucoup tournées vers l’Afrique, évoquant par exemple la situation au Niger. Vendredi, une autre vidéo titrée « L’Afrique a été instrumentalisée pour la propagande de l’accord céréalier » évoquait le retrait russe de l’accord qui permettait jusqu’ici à l’Ukraine d’exporter des céréales vers le continent – un sujet au cœur du sommet Russie-Afrique qui s’est ouvert hier.
Le site Internet du média, dont les traces techniques sont masquées de manière qu’il soit impossible de remonter jusqu’à ses responsables, semble publier de nombreux articles viraux de très basse qualité pour attirer du trafic et maquiller son objectif véritable : relayer des vidéos reprenant les éléments de langage du Kremlin et promouvant les intérêts russes. « Les vidéos sont doublées en français et éditées pour faire apparaître le logo d’Ebene Media TV, mais les images originelles sont prises de sources russes variées, comme le ministère de la défense, le service presse du Kremlin, les médias d’Etat ou proches de l’Etat russe, ainsi que des chaînes Telegram russes », détaille le rapport de Reset Tech.
Si Reset Tech n’est pas parvenue à identifier précisément les acteurs derrière cette campagne d’influence, l’ONG note que celle-ci concorde avec « la stratégie d’influence très documentée du Kremlin ». Si Facebook démantèle régulièrement des pages, faux comptes et groupes utilisés pour promouvoir de façon frauduleuse les éléments de langage de la Russie en Afrique francophone, l’ONG déplore que « l’entreprise [ait] encore beaucoup de travail à faire pour appliquer correctement ses règles d’utilisation ».