Si les sirènes de l’intelligence artificielle promettent à court terme l’avènement de sous-titres automatisés par ordinateur, la majorité de ceux qu’utilise l’industrie ou que l’on déniche sur le Web restent encore réalisés par des humains.
Sauf que la donne a changé. Il y a quelques années, la problématique s’illustrait principalement au travers du conflit entre sous-titreurs professionnels et « fansubbers », ces amateurs qui choisissent de traduire et de diffuser leurs sous-titres librement, les premiers accusant les seconds de dévoyer leur métier. Mais aujourd’hui, même les fansubbers semblent être en voie de disparition.
« Nous sommes, pour ainsi dire, en préretraite, puisque notre activité est pratiquement au point mort depuis un à deux ans, résume Light, membre de la team Yarashii, une équipe spécialisée dans le sous-titrage d’animation et de jeux asiatiques. Cette dernière ne compte aujourd’hui plus qu’une poignée de membres, contre « une vingtaine au pic de [son] activité, entre 2014 et 2018 ». Le fansub, encore très actif il y a quelques années, fait grise mine et les membres de la team Yarashii se souviennent de « l’âge d’or ». « Il y avait vraiment beaucoup d’équipes différentes à cette époque », se remémore Jakedax, un autre membre de Yarashii.
Le déclin du fait-main
Une première explication, la plus évidente, est l’évolution des pratiques de piratage : depuis quelques années déjà, la consultation de sites de streaming illégaux prévaut largement sur le téléchargement de fichiers, comme en témoigne le dernier rapport annuel de l’entreprise Musso. Mais selon les membres de Yarashii, le déclin du sous-titrage amateur est aussi lié au développement de l’offre légale, avec l’arrivée depuis 2013 en France de nombreux acteurs spécialisés dans le streaming d’anime, comme Crunchyroll ou Wakanim. Les fansubbers proposaient en effet généralement des sous-titres pour des œuvres non disponibles sur le marché français afin de limiter les conflits avec les éditeurs.
Or, avec l’arrivée de ces nouvelles plates-formes proposant justement des contenus inédits dans l’Hexagone, leur marge de manœuvre s’est réduite. Un constat face auquel les membres de la team Yarashii sont finalement assez résignés : « J’aime cette activité et je suis ravi d’avoir contribué à certains de nos projets, mais je préfère toujours les voir passer de l’autre côté du rideau, sur la scène légale », résume Light.
Le fansub se fait donc plus rare mais, sur Internet, les fichiers de sous-titres sont encore largement disponibles, et parfois quelques heures à peine après la première diffusion d’un épisode. Il suffit d’une simple recherche Google pour tomber sur des plates-formes comme Opensubtitles, qui proposent de récupérer gratuitement un fichier de sous-titre pour une série ou un film.
Un coup d’œil aux crédits généralement affichés à la fin des fichiers permet cependant de remarquer qu’ils ne sont à présent pas toujours l’œuvre de bénévoles travaillant sur leur temps libre. Dans de nombreux cas, ces documents sont des copies pirates de fichiers réalisés par des professionnels de l’industrie, missionnés par les diffuseurs pour produire des sous-titres à destination des plates-formes grand public, ou pour le cinéma.
Des sous-titres officiels piratés
Difficile d’avoir des chiffres ou un état des lieux de ce phénomène. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a récupéré les missions de l’autorité de lutte contre le piratage Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), explique ne pas avoir d’information sur ce sujet. Pour Sabine de Andria, traductrice adaptatrice et membre de l’Association des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel, la diffusion de ces fichiers n’est évidemment pas une bonne nouvelle :
« Le téléchargement et le piratage, dans tous les cas, c’est du vol. Le fait d’utiliser nos sous-titres, évidemment, c’est complètement illégal, et cela se fait sans notre accord. »
Cette publication sauvage a également des conséquences pour les professionnels, qui doivent faire face aux suspicions grandissantes de leurs clients et signer des accords de non-divulgation pour les rassurer. « Quand je travaillais par exemple sur les sous-titres de la série The Walking Dead, les fichiers s’étaient retrouvés sur des sites pirates, raconte Sabine de Andria. Ça nous a causé des problèmes : les clients pouvaient penser que c’était notre faute, ou la faute des laboratoires [chargés de l’incrustation]. Mais ce n’était ni eux ni nous. On ne sait pas vraiment comment les fichiers sortent sur le Web. »
Il y a pourtant des pistes : Sabine de Andria évoque par exemple des fuites liées aux diffusions des versions à destination de la presse et l’utilisation de logiciels de reconnaissance de caractères pour récupérer les sous-titres parfois incrustés directement dans l’image. Ironiquement, même les sous-titres créés par les équipes de fansub se retrouvent parfois diffusés sans le consentement de leurs créateurs. « Il nous est déjà arrivé de découvrir notre travail ailleurs, oui. Ce n’est jamais agréable, mais cela fait partie des risques », relativise Light.