Posé sur la banquette d’un café chic, pas loin des colonnes de Buren, terrain de jeu des Instagrammeurs des années 2010, Ayoub s’excuse de ne pas avoir trouvé de place dans l’un de ses coffee shops fétiches. Son truc à lui, c’est le iced latte, la boisson qu’il consomme devant les milliers d’internautes qui le suivent sur ses réseaux sociaux sous le pseudo de @superlumos. Huit cent mille abonnés sur TikTok, 122 000 sur Instagram et 43 000 sur YouTube… Sans compter son podcast « Iced Coffee Break with Superlumos », qui cumule le million d’écoutes et, bientôt, un livre de cuisine, Mon recueil de douceurs, dont la sortie est prévue le 9 novembre.
Avec une cadence plus ou moins constante, ce Parisien partage son quotidien, ses voyages, ses pensées et ses vlogs (contraction de vidéo et blog). D’une recette de tuna salad sandwich (142 000 « j’aime ») à des recommandations d’objets déco (16 millions de vues), de sa passion pour la série Gilmore Girls à son amour du matcha, tout ou presque y passe. Se présentant comme introverti, hypersensible et solitaire, il poste des contenus simples, à l’esthétique peu retravaillée, qui tranchent avec les productions ultrasophistiquées ou démesurées de nombreux créateurs de contenus.
Pour Alice Audrezet, enseignante-chercheuse en marketing de l’influence à l’Institut français de la mode, Superlumos s’inscrit dans une nouvelle vague d’influenceurs en quête d’un autre type d’authenticité : « Aujourd’hui, ce qu’il faut réussir à mettre en scène, c’est l’émotion. Le focus sera moins sur l’image, toujours jolie à regarder, mais moins léchée, moins finie, ce qui contribue au sentiment de proximité. » C’est cette approche qui plaît à Inès, jeune femme de 26 ans qui perçoit en Superlumos « une grande bienveillance, sincérité et douceur » : « Il est d’un grand réconfort, et rassurant sur plein d’aspects de la vie, comme le manque de confiance en soi ou la solitude », détaille-t-elle.
« Romantiser » la vie lente
Avec son téléphone, le jeune homme de 28 ans photographie et filme tout ce qu’il trouve joli et agréable à regarder ou faire. Il « romantise » sa vie. Un mode de vie « adopté par nécessité », explique-t-il, sujet à de nombreuses crises d’angoisse et à l’anxiété. « Je n’avais plus d’autre choix que de me dire “recentre-toi sur ce qui te fait du bien, sur ce qui te fait plaisir”. »
Ode à la lenteur, aux choses « qui font du bien » (terme qu’il répète souvent) : si Superlumos ne se réclame d’aucun mouvement, il est tout de même l’héritier de tendances postconfinement, comme la slow life et la soft life (« vie lente », « vie douce »), qui consistent à prendre le temps d’apprécier les petits détails, les moments, à s’entourer des bonnes personnes, profiter de sa propre compagnie et exercer des activités créatives, sans tomber dans l’injonction à la productivité. Sur Pinterest, l’accélérateur des esthétiques des moins de 25 ans, le terme slow life est en augmentation de 6 % d’une année à l’autre depuis 2020, accompagnés de mots-clés tels que « reconnexion à la nature », « développer sa créativité » et « temps pour soi », d’après les chiffres communiqués au Monde par l’entreprise.
Ses contenus bienveillants ne l’empêchent pour autant pas d’être la cible de messages haineux sur son physique, ses origines marocaines ou sa masculinité. Comme lorsque l’une de ses vidéos sur une recette devenue virale lui a valu, malgré son sujet anodin, plusieurs jours de harcèlement sur Twitter. « Comme si être un homme ne m’autorisait pas à parler d’émotions, en ressentir, à les partager. Les gens projettent leurs peurs ou leurs insécurités sur moi », analyse-t-il.
Sa communauté sur les réseaux, qui le défend constamment, est toutefois très soudée. En octobre 2022, Superlumos avait invité une centaine d’abonnés à une pyjama party pour voir le film Twilight dans une salle de cinéma louée pour l’occasion. Le site Web du cinéma avait saturé sous l’afflux de connexions.
« Authenticité absolue »
Aujourd’hui, l’ancien étudiant en journalisme peut vivre de ses contenus grâce aux partenariats passés avec des marques. Sans que cela n’oriente ce qu’il poste ? « Je choisis mes collaborations en fonction de mes goûts ou de la pertinence du produit », se défend celui qui assure ne jamais vendre de codes promo à ses abonnés. Il produit « un contenu hiérarchisable », selon Alice Audrezet, qui permet à ses abonnés de séparer le contenu réalisé « pour payer les factures » et celui pour « refléter des goûts personnels ». Une stratégie non moins commerciale mais plus viable que celle d’autres influenceurs consistant à brouiller les pistes, estime-t-elle.
C’est aussi pour cela que Superlumos a, jusqu’ici, refusé de travailler avec des agences d’influenceurs, préférant faire appel à une amie pour jouer le rôle d’intermédiaire avec les marques. Quand on lui demande s’il vit bien de ses activités, celui qui affirme ne pas tenir de statistiques sur ses comptes répond d’un laconique « bien, je ne sais pas, mais j’en vis ». Il trouve logique de s’associer à ces marques, que « ça fait partie du métier », mais rappelle qu’il paye ses voyages et ses nuitées d’hôtels.
Travaillée ou non, la sincérité que met en avant Superlumos est au cœur de ce que recherchent aujourd’hui les entreprises et les internautes. « Il y a l’idée que l’authenticité absolue a existé : on le voit avec les toutes premières photos sur les archives du Web, c’est ce que beaucoup veulent revivre, avance la chercheuse Alice Audrezet. Les marques souhaitent s’associer à des influenceurs qui ne doivent pas avoir l’air d’être uniquement des porte-manteaux, sans âme. » Une volonté de retour aux sources, à l’heure où les politiques tentent justement de juguler les dérives du monde de l’influence, et qui préfigure, peut-être, une nouvelle page dans son histoire.