Il hurle à s’en égosiller. « Arrêtez de mettre des − 1 sur mon live ! Le premier qui met un − 1, ça part sur un ban [bannissement] direct ! » La scène se déroule sur TikTok, dans l’onglet réservé aux diffusions en direct, et le jeune homme de 24 ans qui menace ainsi son audience s’appelle Damien. Depuis six mois, à raison de deux sessions par jour, il lance sur la plate-forme chinoise un live sur le jeu vidéo Minecraft. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire, mais Damien, alias « Damsoff », ne joue pas seul : il affronte ses spectateurs, lesquels peuvent influer sur le cours de sa partie et cherchent à tout prix à le désavantager.
« On a un cube qu’il faut remplir d’autres cubes plus petits et, une fois arrivé tout en haut, on obtient une victoire », explique au Monde le tiktokeur originaire du Nord. Sauf que, poursuit Damien, le public peut de son côté entraver son ascension, par exemple en « détruisant des cubes », faisant à terme baisser son score global (les fameux « − 1 »). TikTok oblige, pour interagir, que les spectateurs n’appuient pas sur les touches d’un clavier ou les boutons d’une manette : ils suivent, « likent », envoient des cadeaux payants… autant d’actions qui se traduisent par l’apparition de divers handicaps.
Ce phénomène, qui s’étend à d’autres jeux vidéo (Grand Theft Auto, Resident Evil…), qualifié au mois de mars de « jeux d’argent collectifs et addictifs » par le média spécialisé L’ADN, s’est surtout propagé cet été. Si bien qu’il est difficile, en cette rentrée, de consulter TikTok sans tomber sur l’un de ces « lives interactifs » qui peuvent paraître, aux yeux profanes, particulièrement cryptiques.
Cette tendance en rappelle pourtant d’autres. Celle des « NPC », ces tiktokeurs qui imitent sur demande les actions simplistes et caricaturales de personnages de jeux vidéo, en fonction des cadeaux que leur font leurs abonnés ; celle des « live matchs », ces courses aux dons controversées, organisées entre vidéastes de TikTok ; mais aussi celle des streams automatiques façon Twitch Plays Pokémon, lors desquels des centaines de joueurs se coordonnent, depuis la plate-forme de streaming d’Amazon, pour jouer à un même jeu vidéo.
« Ça s’appelle de la mentalité inversée »
Seulement, les « lives interactifs » vidéoludiques de TikTok ont leurs spécificités. Ce qui saute aux yeux, c’est leur mise en scène, surchargée au possible. Sur son direct, lors duquel il doit gravir une montagne du jeu vidéo GTA, Adrien, dit « Delbosso33 », ne met en effet pas seulement en avant sa partie et son visage, comme le font sobrement la plupart des streameurs sur Twitch. Une vaste partie de l’écran est aussi recouverte d’une trentaine d’icônes, correspondant chacune à des faits de jeu bien spécifiques et associées à des actions que peuvent déclencher de leur côté les spectateurs.
Il vous reste 56.84% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.