En ce moment, je travaille sur le prochain rapport du Projet Arcadie. Pour cela, je me suis plongée dans tous les sondages qui ont été faits sur les élections présidentielles et législatives. Ce qui m’a permis de tomber sur une donnée assez intéressante.
Les politiques et les « jeunes » : un bastion à conquérir
Si vous lisez les programmes électoraux, vous constatez que les politiques, généralement de gauche, essaient désespérément de draguer les jeunes électeurs, à savoir la tranche 18-25 ans. Cela est moins vrai à droite – au sens large – cette famille s’appuyant plutôt sur un électorat âgé. Le jeune, cet objet de désir électoral mal identifié, fait l’objet de toutes les attentions par les instituts de sondage.
C’est ainsi que l’IFOP a réalisé pour le compte de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ) une étude extrêmement complète – 205 pages – sur les jeunes et la présidentielle. Beaucoup d’éléments sont passés au crible, mais c’est la façon dont les jeunes s’informent qui a retenu mon attention.
« Parmi les moyens suivants, quels sont ceux que vous utilisez principalement pour vous informer sur le déroulement de la campagne de l’élection présidentielle ? En premier ? En deuxième ? En troisième ? ». Le premier moyen est la télévision. Viennent ensuite les discussions en famille et les sites Web d’information. Les différents réseaux sociaux arrivent bien après, en premier Instagram, puis Twitter, YouTube, Facebook, TikTok et enfin Twitch. Ce n’est pas exclusif à la politique. Dans une autre étude, qui n’est pas disponible en ligne, mais dont la presse s’est fait l’écho, 40% des 16 à 30 ans suivent l’actualité sur des supports traditionnels.
Erreur stratégique
Si vous suivez la politique, en particulier la vie parlementaire avec assiduité – je ne doute pas que les lecteurs de ZDNet lisent aussi Projet Arcadie – vous avez peut-être remarqué que les élus adorent faire de la retape pour leurs comptes de réseaux sociaux. C’est ainsi qu’au lieu de les voir en circonscription, on les voit remercier les internautes parce qu’ils sont XX XXX à les suivre sur [insérer le réseau social à la mode].
Tant et si bien que certains se sont mis à faire des live-Twitch en plein hémicycle, ce qui ne fait qu’ajouter du bazar au bazar des séances de nuit. Pour une raison totalement inconnue, beaucoup de politiques restent persuadés qu’un clic = un vote alors que les deux dernières élections présidentielles ont clairement démontré que ce n’était pas le cas. Cela l’est encore moins pour les élections législatives. Même pour les Français de l’étranger, la seule chose qui va réellement entrer en ligne de compte est le contact direct. Les électeurs pardonnent une absence en hémicycle. Ils ne pardonnent pas du tout l’absence à l’inauguration du troisième rond-point de Trifouillis les Trois Canards, 253 habitants et 700 chèvres.
Il est donc parfaitement inutile d’essayer de devenir un influenceur sur les réseaux sociaux si on souhaite réussir sa carrière politique. Les jeunes s’en moquent, les plus âgés aussi. Et pour cause : ils vont privilégier un canal qui vient à eux. Le problème des réseaux sociaux est qu’il faut aller chercher les internautes, pour les inciter à participer, à s’informer, etc. La grande force de la télévision et de la radio est qu’elles livrent à domicile, les informations demandées.
Filtres et exigences éditoriales
On a beaucoup parlé des bulles de filtres des réseaux sociaux, dénonçant les algorithmes qui nous enfermeraient dans des schémas de pensées particuliers. Sauf que le raisonnement est valable pour les chaînes de télévision – généralistes ou d’infos en continu. Le seul élément qui sauve vaguement la télévision de cette accusation est notre législation concernant le temps de parole des politiques. Pour éviter de subir les foudres de l’ARCOM, les chaînes de télévision et les radios sont tenues de respecter un certain équilibre de temps de parole.
Le fait que les jeunes restent attachés à la télévision, notamment pour s’informer sur les élections, est peut-être le signe qu’ils sont sensibles à ces règles d’organisation des débats. Mon point de vue personnel est évidemment biaisé : dans l’ensemble, je trouve les débats médiocres et les journalistes qui les animent, beaucoup trop gentils. Ils ne sont pas assez incisifs ni assez pointus. Je reconnais que je ne suis absolument pas représentative de la population, étant camée aux débats politiques.
Quelque part, ces deux études me rassurent, aussi bien en tant que journaliste parlementaire – sans carte de presse – que technicienne. Je frôlais l’overdose d’entendre les chargés de communication et les politiques claironner « on va hacker la politique », « on va hacker le débat politique ». Ces affirmations suffisaient à montrer qu’ils n’avaient rien compris, ni à l’informatique ni à la politique. Peut-on espérer qu’ils arrêtent de courir derrière des influenceurs en tout genre ? Honnêtement, je n’en suis pas persuadée. Le grand drame de nos parlementaires et ministres actuels est qu’ils se sont plantés de métier. Ils veulent être aimés. Personne ne fait de la politique pour être aimé. J’irais jusqu’à dire que vouloir être aimé quand on est politique est un signe de faiblesse.
Une stratégie à revoir ?
Vous n’avez pas suivi les débats sur la loi de programmation et d’orientation du ministère de l’Intérieur. Vu le niveau général, vous avez eu raison parce que c’était consternant. Mais, c’est durant ce texte que les députés Bernalicis et Léaument ont décidé de faire des live-twitch. Ils se sont fait taper sur les doigts à plusieurs reprises. Argument avancé ? Cela permet de faire de la pédagogie. Sauf que si on regarde les études dont il est question, on se rend compte que l’argument ne tient pas.
En premier lieu, à part les énervées dans mon genre, qui regarde les débats à l’Assemblée nationale un vendredi soir, jusqu’à 3h35 ? En second lieu, l’Assemblée nationale streame les débats, sur son site Web ainsi que sur son compte Twitter. Donc, il n’est pas besoin de se substituer au canal officiel, sauf à vouloir absolument entretenir sa petite gloire personnelle.
Peut-être qu’il serait temps aussi que les chaînes de télévision, en premier lieu, LCP reprenne des couleurs. Je ne compte plus le nombre de fois où des internautes de tous âges se sont étonnés que la chaîne parlementaire ne diffuse pas les débats en séance publique, les rendant dépendant d’une connexion Internet, parfois hasardeuse. Cela est valable pour Public Sénat.
L’informatique n’est pas seulement du code ou des techniques. Ce sont aussi des usages et la façon dont les gens s’approprient une technologie. Le point positif de ces deux études est qu’elles montrent finalement la déconnexion entre ceux qui parlent et ceux qui font. Si les plateformes de streaming ont révolutionné notre consommation de divertissement, Internet n’a pas bouleversé l’information au point que les canaux du XXe siècle aient totalement disparu.
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