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« Entreprise abominable », « ramassis de wokes dégénérés », « fossoyeurs du jeu vidéo ». Depuis quelques semaines, de nombreux joueurs conservateurs harcèlent en ligne les employés de la société Sweet Baby Inc. (SBI), spécialisée dans le conseil éditorial pour l’écriture de scénarios de jeux vidéo. Le crime supposé de cette entreprise d’à peine quinze employés ? Manipuler l’industrie du jeu vidéo pour la rendre plus woke.
L’offensive au relent complotiste trouve ses racines à l’automne 2023, quand sort Marvel’s Spider-Man 2, la nouvelle aventure très attendue de l’homme-araignée, sur PS5. Très vite, certains joueurs pointent la présence d’un drapeau LGBT graffité sur l’un des bâtiments du jeu et le choix d’un Spider-Man afro-américain. Sur certains forums conservateurs, principalement américains, des internautes sont convaincus d’y voir les preuves d’un complot woke. Selon eux, les personnages issus de minorités sont de plus en plus nombreux, les protagonistes mâles blancs de moins en moins forts et les silhouettes des héroïnes de moins en moins sexy… et il leur faut vite trouver un coupable.
Une semaine après la sortie du jeu, sur le forum très controversé Kiwi Farms, à l’origine de nombreuses campagnes de harcèlement, un internaute partage sa trouvaille : Insomniac Games, le studio derrière Marvel’s Spider-Man, aurait sollicité un consultant pour l’aider dans l’écriture de son scénario. Son nom : Sweet Baby Inc., petite entreprise de Montréal spécialisée en conseil éditorial et investie sur les questions de diversité et d’inclusion.
Des preuves fantômes
Depuis sa création, en 2018, par les scénaristes Kim Belair et David Bédard, elle collabore avec plusieurs acteurs de l’industrie et apparaît dans les crédits de grosses productions (Assassin’s Creed, Alan Wake II…) comme de jeux plus indépendants. Autrement dit, c’est un sous-traitant. Mais cet internaute en est convaincu : voilà le cancer woke qui gangrène le jeu vidéo. Sweet Baby Inc. n’est pourtant qu’une des nombreuses sociétés de conseil éditorial qui jouent depuis plusieurs années un rôle méconnu mais important dans ce secteur.
Gregorios Kythreotis, cocréateur du jeu multirécompensé Sable, en témoigne. « La date de sortie de notre jeu approchait et nous étions débordés, explique-t-il. Le scénario était écrit, mais pas intégré sous la forme de dialogues. SBI s’en est occupé, avec professionnalisme et en respectant notre démarche artistique. » A coups de preuves fantômes, pourtant, les détracteurs de l’entreprise l’assurent : elle en aurait profité pour introduire des pronoms non binaires.
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