Le groupe indien est dans une mauvaise passe. Avec le crash du Boeing 787 d’Air India, le processus de privatisation de la compagnie aérienne vient de prendre un coup. L’entreprise fortement déficitaire entre dans une nouvelle crise de confiance. Son propriétaire Tata n’aura pas beaucoup de marge pour encaisser le choc.
En 2022, quand l’État indien revendait la compagnie aérienne Air India au conglomérat Tata, l’accord à 2,4 milliards de dollars cachait de nombreux problèmes pour un pari au long court. Quand les dirigeants du groupe remerciaient le gouvernement indien et le Premier ministre Narendra Modi pour cette opportunité, ils ouvraient leur portefeuille d’activité à un secteur particulièrement coûteux, et une entreprise largement déficitaire.
Pour s’accorder un tel défi, et remettre sur pied la compagnie qui était devenue une « honte nationale », Tata fortifiait ses comptes au travers de 100 entreprises, travaillant notamment dans l’acier (avec Tata Steel), l’automobile (avec Tata Motors) mais aussi d’autres activités, comme la production d’iPhone, sous une filiale spécialisée pour le compte exclusif d’Apple en Inde, en 2020.
Le conglomérat dévoilait ainsi des résultats en forte hausse, avec un chiffre d’affaires en croissance de 33 % sur l’année 2021, mais aussi sur l’année 2022, avec d’importants bénéfices. Que ce soit le processus de privatisation d’Air India ou la poursuite de ses autres activités, Tata se portait bien jusqu’à l’année dernière, avec un nouveau bilan annuel en hausse de 25 % pour le chiffre d’affaires, et des profits après impôt plus élevés de 57 %.
Quand Tata rachetait la « honte nationale » Air India
Les premières semaines de Tata en tant que propriétaire d’Air India donnaient le ton. Le Néo-Zélandais Campbell Wilson, nommé par la nouvelle direction, dévoilait au Financial Times en novembre 2024 que de nombreux avions Air India avaient été immobilisés et pillés pour en récupérer les pièces détachées. Sur le numérique, des employés utilisaient leur compte Gmail pour gérer leurs activités, et la plateforme de réservation était obsolète.
« En cas de problème, on avait tendance à l’occulter, jusqu’à ce qu’il soit révélé », expliquait-il. La situation n’était tout simplement pas viable pour que la compagnie ne survive dans le temps. Le groupe Tata se chargeait d’investir 200 millions de dollars pour moderniser les systèmes informatiques, embaucher 9 000 nouveaux employés, et signer une commande record, de 570 appareils chez Airbus et Boeing.
Le début de l’année 2025 montrait des résultats positifs, avec, trois ans après la privatisation de la compagnie, des finances en voie d’amélioration, grâce à des revenus en hausse et des pertes en baisse. Mais les critiques fusaient toujours, avec des retards et des annulations de vol, mais aussi de la présence de plats et de boissons jugés « inadéquates ». L’intérieur délabré des avions n’arrangeait rien, tout comme les vidéos des passagers montrant des systèmes de divertissement défaillants.
Il restait donc du chemin à Campbell Wilson et ses équipes, avec le soutien de Tata, pour remonter la pente, et reprendre du terrain dans un marché où son grand rival IndiGo prenait de plus en plus de place.
Le crash Air India 171, pire catastrophe aérienne depuis 2014
Jeudi 12 juin, à 13 h 39, le Boeing 787-8 du vol Air India 171 a décidé d’une tout autre trajectoire, au point de remettre en question la survie même de la compagnie. Quelques secondes après la rotation de l’appareil immatriculé VT-ANB, sur la piste de l’aéroport d’Ahmedabad, le long-courrier de la compagnie s’écrasait quelques centaines de mètres plus loin, entraînant la pire catastrophe aérienne depuis 2014, au bilan encore provisoire de plus de 290 morts.
Comme pour l’avionneur américain Boeing, quel que soit le rôle d’Air India dans le crash, la crise de confiance de ses clients passera à une tout autre échelle. Après le gouvernement indien, il est désormais de la responsabilité du groupe Tata d’en payer les frais.
« Il y aura des indemnisations, des poursuites judiciaires et de la frustration chez les clients », détaillait au Financial Times Neelam Mathews, analyste indépendant du secteur aéronautique basé à New Delhi en Inde. Dans les médias, la compagnie est scrutée de plus près encore, en démontre, lundi 16 juin, le demi-tour d’un autre Boeing 787 d’Air India à Hong Kong après l’annonce d’un problème technique. La nouvelle faisait le tour du monde, même si de telles déviations pour des raisons techniques se produisent chaque semaine dans le milieu aérien.
Au siège d’Air India à Gurugram, près de Delhi, le président de Tata, Natarajan Chandrasekaran, appelait à « faire preuve de résilience » après l’incident, affirmant : « nous devons utiliser cette épreuve pour bâtir une compagnie aérienne plus sûre. » Pour Andrew Charlton, directeur d’Aviation Advocacy, « la véritable question est désormais de savoir comment Air India va réagir. Si elle gère mal la situation, cela pourrait tourner au désastre. »
Une stratégie cruciale en effet, mais qui n’échappera pas au verdict final : la détermination des causes de l’accident. Les deux boîtes noires de l’avion ont été retrouvées, mais il faudra quelques semaines avant d’obtenir un bilan préliminaire, et plusieurs mois avant un bilan final.
En attendant, de vieux dossiers seront ruminés, et ralentiront encore le chantier lancé par Tata en 2022. Parmi eux, difficile de ne pas mentionner la très indésirable amende infligée par la Direction générale de l’aviation civile indienne à la compagnie, suite à des dépassements de limites de temps de service en vol. Un redressement au très mauvais écho aujourd’hui, après la catastrophe.
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Source :
Financial Times