PortraitEn une décennie, avec des récits populaires ou intimistes, le dessinateur japonais de 28 ans a fait du renouveau perpétuel et de l’exploration cinématographique sa marque de fabrique. Un premier tome de ses nouvelles dessinées est publié en France mercredi.
Il a commencé sa carrière à 17 ans, l’année du séisme et du tsunami de 2011. Depuis, le sentiment d’impuissance, les efforts parfois vains face à l’inéluctable traversent Tatsuki Fujimoto et ses récits. Les héros du mangaka ne sont toutefois pas dépourvus d’étincelles de vie ni de surprises et ses mangas sur la brèche amènent constamment le lecteur en territoire inconnu. Sa première nouvelle dessinée, Deux poules au fond du jardin, qui ouvre l’anthologie 17-21 publiée en France le mercredi 18 mai chez Kazé, porte déjà ce mantra. Esquissée juste avant une entrée à la fac d’arts de Yamagata retardée par la catastrophe, elle raconte comment deux rescapés de l’humanité se déguisent en poules pour échapper à des extraterrestres venus coloniser la Terre.
L’histoire tape dans l’œil de la prestigieuse maison d’édition Shueisha. L’artiste est de la génération qui a lu One Piece et Naruto, incubés dans les pages du magazine Weekly Shonen Jump, vaisseau amiral de l’éditeur et fameux label de succès. Il est alors loin de se figurer que, sept ans plus tard, il rejoindra cette même écurie avec Chainsaw Man (2018), sa série sur un adolescent paria, chasseur de démon capable de se transformer en homme-tronçonneuse. Ni même qu’il en sera l’un des ambassadeurs, lui qui s’évertue à proposer des histoires hors norme et débarrassées de tabous dans le shonen, manga destiné aux adolescents.
« Plus qu’à la tête d’une tendance, Fujimoto s’inscrit plutôt dans le courant des auteurs du Shonen Jump dissidents, parvenus à installer leur singularité radicale dans ce magazine très codifié, comme Hirohiko Araki [Jojo’s Bizarre Adventure] ou Yoshihiro Togashi [Yuyu Hakusho, Hunter x Hunter]», analyse Frederico Anzalone, journaliste et commissaire de l’exposition « Tatsuki Fujimoto, héros du chaos » présentée en janvier au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD). « Il est capable d’infuser des éléments populaires, de prendre un socle thématique commun comme la chasse aux démons et le pervertir très vite. Il fait des blockbusters d’auteur ».
Chainsaw Man, qui s’est vendu à 12 millions d’exemplaires au Japon et 780 000 en France, va être adapté cette année en série animée et les onze premiers tomes vont être complétés par une suite publiée à partir de cet été.
Fascinants viscères
Outre son personnage au design singulier – un ado dont la tête se transforme en tronçonneuse à chaque fois qu’il tire sur un fil de démarrage fiché au milieu de sa poitrine –, Fujimoto marque par sa façon de mettre en valeur le sang, par son esthétique de la violence et de l’absurde. « Dans le film Massacre à la tronçonneuse il y a des scènes extrêmement violentes mais que je trouve très belles aussi. Par exemple, des personnages découpés avec les intestins qui sortent du corps… Montrer ces choses-là peut s’avérer extrêmement esthétique. J’aimerais y parvenir dans mes mangas. Je trouverais génial que les gens arrivent à voir dans mes mangas la beauté dans des choses grotesques », argumentait-il auprès du Monde lors d’une interview par visioconférence en marge du FIBD, en janvier.
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