L’actualité galope si vite que ce 6 juin, la rupture spectaculaire entre Elon Musk et Donald Trump fait les gros titres. Mais les idées politiques des deux hommes restent alignées en bien des points, à commencer par un total mépris de la démocratie et des contre-pouvoirs. Le documentaire «Technofascisme? Les barons de la Silicon Valley à l’assaut de la démocratie» (spoiler: le point d’interrogation du titre est rhétorique) est diffusé ce vendredi à 21h55 sur Franceinfo (rappelons qu’avec la nouvelle numérotation, la chaîne d’info est maintenant sur le canal 16), puis en replay.
La démocratie ? « Inefficace »
Ce film efficace ne porte pas que sur Elon Musk, dont de saluts nazis en soutien appuyé aux partis d’extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni, puis à Marine Le Pen, personne ne peut plus ignorer les opinions. Il présente aussi d’autres figures de la tech américaine, ralliés (les Zuckerberg, Bezos et autres opportunistes venus lécher les bottes du seigneur de Mar-a-Lago et présents à la cérémonie d’investiture) et surtout soutiens par conviction personnelle.
Bien moins connu que Musk, Peter Thiel (qui fut un des premiers investisseurs dans Facebook) est comme lui membre de la très masculine «mafia PayPal» (il a créé avec Musk la plateforme de paiement, qui a fait leur fortune). Thiel comme Musk haïssent le multiculturalisme et le prétendu wokisme (on sait que Musk, père d’au moins 14 enfants, a choisi de prétendre que son fils «a été tué par le virus woke» plutôt que d’accepter sa transition de genre – Vivian Jenna Wilson, 21 ans, est en fait parfaitement vivante et opposée aux idées de son géniteur) et les contre-pouvoirs.
Le reportage de l’émission «Vrai ou faux» dresse un parallèle entre la montée des fascismes en Europe au siècle dernier et l’essor actuel de l’extrême droite aux Etats-Unis. Il montre l’influence de Curtis Yarvin, informaticien et essayiste inspirateur de Thiel et d’autres (« Licencier tous les fonctionnaires de l’Etat, c’est très simple », écrivait-il en 2012). Comme ce dernier, les soutiens tech de Trump, Thiel en tête, considèrent que la démocratie ne fonctionne pas, et qu’un président (tous étant masculinistes, il y a peu de chances qu’ils soutiennent une candidate) doit diriger comme un chef d’entreprise et ne pas être entravé par les parlementaires ou les juges.
«J.D. Vance a été élu par Peter Thiel»
Dans le film de Franceinfo, qui en 32 minutes condense pas mal d’infos, on voit le talent de Peter Thiel, seul soutien tech de Trump en 2016, pour dénicher et propulser des jeunes prometteurs: c’est Thiel qui a poussé à la vice-présidence J.D. Vance, possible successeur de Donald Trump – et bien moins imprévisible que lui, un gros avantage pour les businessmen. Ce même Vance qui en 2016 se demandait encore si Trump était un «connard cynique à la Nixon» ou «un Hitler américain», avant de totalement retourner sa veste.
Parmi les experts interviewés dans le film, Fred Turner – auteur de «Aux sources de l’utopie numérique» – estime d’ailleurs que «Vance a été élu par Peter Thiel». « Je pense que J.D. Vance est en train d’être préparé pour 2028, y compris par le monde de la tech », explique aussi dans le reportage Laura Field, chercheuse spécialiste de l’extrême droite. Non sans succès pour les milliardaires tech, puisque Trump a annoncé de gigantesques investissements tech, notamment dans l’IA qu’il dérégule, et laissé libre cours au DOGE de Musk pour démolir tous les services publics sur sa route.
La France aussi a ses milliardaires…
Le film de Luc Brisson et Julien Pain souligne aussi que derrière Peter Thiel, il y a son entreprise Palantir, machine de guerre tech de renseignement – prestataire entre autres de notre DGSI. Lors d’une table ronde après l’avant-première du documentaire à France Télévisions le 27 mai, l’américaniste Anne Deysine a souligné que les géants de la Big Tech sont tous pour la dérégulation (d’où l’importance pour eux de la guerre de Trump contre l’Europe et son DSA, épouvantail pour eux. Le DOGE de Musk est loin d’être un échec, a-t-elle exposé. Il n’a évidemment pas rempli, et de loin, les prétendues économies budgétaires prévues, mais il a décapité toutes les grandes administrations et mis la main sur des tonnes de données…
L’universitaire a aussi relevé que ces milliardaires de la tech sont tous anti-démocratie, car pour eux, le peuple n’est bon qu’à l’addiction aux réseaux sociaux et à leur fournir des données. Et en Europe? La politologue Asma Mhalla, qui en fréquente beaucoup, a déploré lors de la même table ronde qu’en France, «on a des politiques flemmards, qui ne travaillent pas». Sur le rôle de milliardaires injectant des millions pour amener l’extrême droite au pouvoir, a relevé le journaliste Olivier Alexandre, Vincent Bolloré et le moins connu Pierre-Edouard Stérin ne sont pas moins actifs que les barons de la Silicon Valley, mais plus portés sur la presse que la tech.
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