Shadow PC est un acteur bien particulier dans le milieu du cloud gaming, puisqu’il fait véritablement… du cloud computing. Il offre depuis sa genèse l’accès à un ordinateur complet sous Windows dans le cloud, ce qui vous permet — théoriquement — de profiter de n’importe quelle expérience. Le jeu, oui, mais aussi pourquoi pas la production graphique, audio et vidéo.
Mais la formule de base vieillissante offrant un processeur 4 cœurs / 8 threads, 12 Go de RAM et l’équivalent d’une GTX 1080 ne plaît plus vraiment. C’est pourquoi la start-up française possédée par OVHCloud a lancé l’option Power, censée répondre aux frustrations techniques des utilisateurs. Dans les faits ? La frustration est adoucie, mais perdure.
Les évolutions de l’option Power
L’option Power, c’est tout simplement de nouvelles baies serveurs déployées par l’équipe de Shadow. Malgré leur état de PC tout neuf, elles sont vendues comme une option : à l’offre de base à 29,99 euros par mois proposée par l’entreprise pour l’accès à un PC dans le cloud, il faudra rajouter 14,99 euros par mois pour accéder à Power. Soit 44,98 euros par mois.
Cette nouvelle configuration consiste en un processeur AMD EPYC 7543P fonctionnant à 2,8 GHz et pouvant monter en mode turbo jusqu’à 3,7 GHz, dont 4 cœurs et 8 threads sont réservées à votre machine. Vous avez aussi 16 Go de RAM, dont Shadow ne détaille pas les caractéristiques, et 256 Go de stockage promis comme offrant « des performances de SSD et un stockage sécurisé ».
Mais la véritable star du service, c’est l’intégration d’un équivalent de la GeForce RTX 3070 version serveur, la NVIDIA A4500 plus précisément. Ce sera du moins le cas sur les premières machines Power, alors que les suivantes pourront aussi intégrer un GPU RDNA2 d’AMD (la Radeon PRO V620 a été citée) aux performances équivalentes. Du moins, sur le papier. Et enfin, le tout tourne sous Windows 10.
« Sur le papier» : c’est là l’un des premiers points à relever concernant la nouvelle offre Power. Si celle-ci peut être intéressante, notamment pour des joueurs cherchant à atteindre une définition 4K convenable ou un haut taux de rafraîchissement en 1440p, il faut rappeler qu’une carte AMD n’est aujourd’hui pas équivalente à une carte NVIDIA. Pour une raison simple : le FSR, si respectable est-il, n’est pas équivalent au DLSS de Nvidia. Or, pour atteindre ces définitions, il est nécessaire de l’exploiter.
De même pour le stockage. Des « performances SSD » veulent tout et rien dire à la fois. Obtient-on des performances dignes d’un SSD SATA, basique et vieillissant, ou plutôt à la hauteur de la dernière technologie PCIe 4.0 ? On aimerait plus de transparence dans l’offre de Shadow telle qu’elle est présentée sur leur site. Après tout, l’option Power cherche à parler à des consommateurs exigeants ; ils ont légitimement un droit de regard sur ces aspects.
La liberté offerte par Shadow est imbattable
Ce qui frappe en premier lieu lorsqu’on prend en main un Shadow PC, qu’il s’agisse de la configuration de base ou cette option Power que nous testons aujourd’hui, c’est la liberté qu’il permet. Si vous êtes habitués des plates-formes de cloud gaming comme GeForce NOW ou feu Google Stadia, la simple possibilité de pouvoir installer n’importe quel jeu est une révolution en soi. Une révolution basée sur le fait d’avoir un véritable ordinateur Windows, bien qu’elle ait ses limites : certains jeux, notamment Valorant ou Genshin Impact, ne peuvent pas être lancés faute d’un outil anti-triche qui bloque les machines virtuelles.
Mais le fait est que même en considérant cet aspect, Shadow PC est tout simplement imbattable sur sa logithèque, puisqu’elle est virtuellement illimitée. Il en va de même sur l’usage, puisque ce PC dans le cloud peut tout aussi bien être utilisé pour le jeu – sa nature première – que pour lancer les outils de la suite Adobe et faire un montage vidéo sur un PC à distance.
C’est d’autant plus vrai que l’entreprise française fait preuve depuis sa naissance d’un très large suivi. Il est possible d’en profiter sur PC, macOS, Linux, Raspberry Pi, Chrome OS, Android, iOS, Android TV, tvOS… Difficile de trouver une plate-forme qui n’a pas son propre client dédié. Seule manque à l’appel la possibilité d’utiliser un client web, qui pourrait débloquer de nombreux usages. Nous savons que les développeurs y réfléchissent, mais il ne s’agit pas forcément d’une priorité.
Les clients proposent tous des options claires et utiles, en prime de fonctionnalités pertinentes comme le fait d’utiliser son écran tactile comme un trackpad, ou sa manette comme une souris. On peut même lancer un second écran à partir de n’importe quel appareil.
L’usage est très « geek » dans l’idée, il faut pouvoir mettre les mains dans le cambouis de temps à autre plutôt que de se laisser guider, mais c’est bien naturel face à un PC. On peut même aller plus loin en installant une application aujourd’hui encore en accès anticipé, mais qui a énormément de potentiel : ShadowVR sur Meta Quest 1 et 2. C’est ici l’un des plus grands arguments originaux de Shadow face à sa concurrence : il est la seule plate-forme à proposer le support de la réalité virtuelle, un terrain sur lequel le cloud gaming a le potentiel de révéler tout son intérêt.
La technique n’arrive pas à suivre
Et dans les faits, le soufflé retombe assez vite. Utiliser Shadow PC, même en option Power, équivaut toujours à devoir accepter quelques compromis que son concurrent principal – le GeForce NOW de NVIDIA – ne fait pas. Sur la latence ressentie à l’usage par exemple, on est si proche de ne rien ressentir… mais on le ressent toujours. Un petit peu. Dans de nombreuses conditions, du Wi-Fi 5GHz à l’Ethernet, qu’importe le client. Avec parfois un peu de mieux, et parfois un peu de pire, mais jamais l’expérience transparente que réussit à fournir la version Ultime de GeForce NOW. Et ce qu’importe la configuration.
Le cloud gaming est avant tout un jeu de latence, et ces optimisations continueront d’évoluer avec le temps. On n’a donc pas forcément envie d’en tenir rigueur à Shadow PC, qui fait malgré tout un excellent travail face à un élève modèle. Hélas, on ne peut pas en dire autant sur les performances de son PC. L’aspect qui est le plus « simple » à régler, à grands coups d’investissements que l’entreprise ne peut tout simplement pas se permettre.
Il y a en premier lieu le stockage. Outre le fait que Shadow ne fournit que 256 Go d’espace de base, et réclame des suppléments de 2,99 euros par mois par tranches de 256 Go pour augmenter le tout via l’ajout de disques virtuels… leurs performances sont catastrophiques. Nous mesurons un taux de lecture séquentielle de 509 MB/s pour 126 MB/s en écriture. À titre de comparaison, un ultrabook moderne comme le Huawei MateBook 14 2021 que nous utilisons au travail tourne autour de 2500 MB/s en lecture et 1900 MB/s en écriture. Ceux mesurés sur le Shadow PC en option Power sont légèrement moins bons qu’un Realme C33, un smartphone vendu au prix officiel de 179 euros avec une mémoire en UFS 2.1.
Une autre déception provient de son processeur. Dans nos mesures réalisées sur Cinebench R23, nous retrouvons un score de 5834 points en multi core pour 1142 points en single core. C’est largement moins bon qu’un Intel Core i7 U de 11e génération, le SoC qui a intégré… les ultrabooks de 2021, comme notre MateBook 14 2021 cité plus haut. L’intérêt de Shadow PC devrait pourtant être d’accéder à un monstre de puissance sur ces configurations plus légères et portables, mais le PC dans le cloud est sur ces points moins performants que la machine qui le lance.
Le CPU et le stockage sont cependant deux données qui n’ont pas forcément beaucoup d’incidences sur l’expérience vidéoludique, qui est majoritairement tenue par la carte graphique. C’est là tout le problème au cœur de la formule de Shadow PC : son intérêt devrait être d’aller au-delà du jeu vidéo. Or, sa configuration ne s’y prête pas réellement. Et lorsque les jeux vidéo PC utiliseront massivement le stockage PCIe ultra-rapides pour leurs expériences, telles que les PS5 et Xbox Series X de ce monde mettent en avant, ce Shadow sera laissé loin derrière. Un manque de vision au long terme qui va à l’encontre de l’intérêt du cloud computing à la sauce Shadow.
Jouer avant tout
Reste la promesse principale : jouer, avant toute chose. Et sur ce point, la configuration n’est pas particulièrement décevante. On retrouve les scores théoriques attendus pour la RTX 3070 sur notre configuration à base de NVIDIA A4500, y compris sur les performances en ray-tracing. On peut profiter du DLSS 2, de NVIDIA Reflex, et de toutes ces petites choses développées par le constructeur de carte graphique qui font la différence sur le marché.
Testé en 1440p, configuration Ray-tracing ultra et DLSS 2 réglé sur le mode Performance, le benchmark intégré à Cyberpunk 2077 nous promet par exemple 57 FPS en moyenne. On est loin de pouvoir le tenir en 4K dans ces conditions, l’un des arguments de l’option Power pour Shadow, mais il est indéniable que baisser quelque peu les réglages vous en ouvrira les portes. Sur un titre plus récent, mais modéré comme Forza Horizon 5, la configuration extrême en 1200p nous offre 76 FPS en moyenne.
Il en va de même pour des titres demandant une bonne stabilité. Nous avons pu faire l’intégralité de Hi-Fi Rush, un jeu de rythme autant qu’un beat’em up, en 4K sur notre Shield TV branchée en Ethernet sans éprouver le moindre problème. Pas de chute de framerate pour un jeu modeste graphiquement, mais surtout pas de latence excessive pour un jeu qui est exigeant manette en main. Une fois plongé dans l’expérience, Shadow s’efface. Et c’est bien tout ce qu’on lui demande.
Graphiquement, c’est face à la concurrence de GeForce NOW Ultime que l’on a du mal à s’extasier. En parlant purement des performances du service, la 4K à 120 Hz ou le 1080p à 240 Hz ne fait pas même suer son rival. Et puisqu’il profite de la génération 40 de NVIDIA, il débloque également le DLSS 3 qui pousse aussi bien le taux de rafraîchissement vers le haut que la latence vers le bas. A contrario, Shadow Power profite au mieux d’un équivalent de génération 30, et au pire d’une carte AMD RDNA2 qui n’offre tout simplement pas les mêmes services et donc pas les mêmes performances.
Reste alors le plus gros point différenciant de Shadow : jouer en réalité virtuelle dans le cloud. Après quelques feintes à l’installation, il est vrai que ShadowVR se lance avec une facilité déconcertante. Et si la définition n’est pas la meilleure, pouvoir lancer des titres exclusifs au PC sur un Meta Quest 2 a quelque chose de bluffant… jusqu’à ce qu’on en voit les limites. Le taux de rafraîchissement bloqué à 72 Hz dans SteamVR se ressent dans le confort d’usage.
Mais surtout, les petits décrochages naturels du cloud gaming en Wi-Fi 5 GHz, même en étant seul sur la connexion, sont difficiles à vivre. Très difficiles à vivre. L’affichage qui sautille subitement de droite à gauche nous a forcé à prendre plus d’une pause « stoppons la gerboulade » au cours de nos tests. Le concept est là et est bluffant ; l’exécution reste encore à travailler. Ce n’est pas pour rien si l’application est considérée comme un accès anticipée.