Ils ont entre 25 et 50 ans, sont coach sportif, vendeuse de cookies ou encore vétéran de l’Air Force, habitent aux quatre coins des Etats-Unis, et ont tous pour point commun d’utiliser TikTok pour parler de leurs sujets favoris à des centaines de milliers, voire de millions, d’abonnés. Mardi 14 mai, huit tiktokeurs américains ont porté plainte contre les Etats-Unis. La raison de leur colère : la loi adoptée fin avril par Washington, qui oblige ByteDance, propriétaire chinois de TikTok, à vendre la plate-forme, faute de quoi celle-ci se verra interdite sur le territoire américain.
Selon leur plainte, cette loi contrevient au premier amendement américain qui garantit la liberté d’expression. Elle « menace de les priver, eux et le reste du pays, de ce moyen particulier d’expression et de communication ». Ces personnes « ont trouvé leur voie, ont amassé des audiences significatives, se sont fait de nouveaux amis, ont été confrontées à de nouvelles et différentes manières de penser – et cela grâce à la façon originale qu’a TikTok d’héberger, d’organiser et de diffuser les paroles ». Les plaignants estiment que cette loi est « inconstitutionnelle », parce qu’elle « interdit un moyen de communication dans son ensemble et tous les discours qui s’expriment à travers lui, bien que l’immense majorité d’entre eux soient protégés ».
« Si vous radiez TikTok, vous radiez mon mode de vie »
Le document balaie l’argument selon lequel une interdiction de TikTok n’empêcherait pas aux créateurs de s’exprimer, en passant par d’autres plates-formes : « Si l’on s’en tient au premier amendement, cela reviendrait à interdire des auteurs américains indépendants de proposer des articles à The Economist, ou à des musiciens américains de diffuser leurs chansons sur Spotify. »
Le document insiste également sur le fait que TikTok, en particulier, a permis à ces créateurs de rassembler une communauté et, parfois aussi, d’engranger des revenus. Ces créateurs « comptent sur TikTok pour s’exprimer, apprendre, défendre des causes, partager des opinions, développer des communautés, et même gagner leur vie ».
Il cite par exemple le cas d’un des huit plaignants, Brian Firebaugh, qui, après avoir servi dans la marine puis traversé une période sombre, a acheté un petit ranch et s’est mis à partager sur TikTok des informations sur l’agriculture et ses produits. Grâce à ses 430 000 abonnés, il est parvenu, détaille la plainte, à dégager un revenu lui permettant de se consacrer à temps plein à son ranch. « Privé d’accès à TikTok, Firebaugh serait obligé de trouver un autre emploi et de financer un mode de garde pour son fils, plutôt que de l’élever à la maison. Comme il le dit lui-même, “si vous radiez TikTok, vous radiez mon mode de vie”. »
Les frais de justice pris en charge par TikTok
Les plaignants estiment aussi que la principale raison justifiant cette loi – des inquiétudes concernant la sécurité des données des Américains sur une plate-forme chinoise – ne tient pas. Il ne s’agit que de « spéculations », peut-on lire dans la plainte, qui rappelle que la justice américaine a déjà, par le passé, rejeté cette idée.
Les arguments déployés par ces huit tiktokeurs sont similaires à ceux avancés par TikTok et ByteDance la semaine dernière, quand eux-mêmes ont porté plainte contre les Etats-Unis pour dénoncer une loi « inconstitutionnelle ».
Il faut dire que l’entreprise n’est pas étrangère à leur démarche. Leurs frais de justice sont pris en charge par TikTok et le cabinet d’avocats qui les représente, Davis Wright Tremaine, avait déjà poursuivi en 2020 les Etats-Unis au nom de trois tiktokeurs pour empêcher l’interdiction de la plate-forme, soutenue à l’époque par Donald Trump. Un juge fédéral leur avait donné raison, estimant que la menace que représenterait le réseau social pour la sécurité nationale était « hypothétique ». En réaction à la plainte déposée mardi, le département américain de la justice a déclaré, dans un communiqué, que la loi menaçant d’interdire TikTok « répond à des inquiétudes cruciales relatives à la sécurité nationale, tout en respectant le premier amendement ».