Pierre-Yves Gibello, directeur général d’OW2
55 projets de logiciels libres et open source viennent de recevoir le soutien des fonds de l’Union européenne, a annoncé fin novembre la fondation néerlandaise NLnet. A cette occasion, le directeur général d’OW2, Pierre-Yves Gibello a publié la tribune reproduite ci-dessous (merci à lui) sur les communs numériques libres. Il y rappelle les principes du Libre, cite plusieurs exemples qui parlent même au grand public, et souligne:
« La fable de la « licorne », startup issue d’un garage soutenue par des
investisseurs visionnaires pour conquérir le monde, se voit opposer un
récit alternatif: le commun issu de logiciels libres, qu’un écosystème
enthousiaste transforme en succès mondial. Y adhérer collectivement,
plutôt qu’au précédent, lui octroierait le même pouvoir
auto-réalisateur, mais orienté vers la démocratie et les libertés
civiles: changer de mythe change le monde! »
Internet, communs et libertés civiles: l’Europe s’appuie sur l’open source via les fondations
par Pierre-Yves Gibello, directeur général de l’association OW2
Au jour où nous publions cette tribune [le 27 novembre 2023, note du blogueur], l’Europe vient d’attribuer 27 millions d’euros à un consortium piloté par l’association néerlandaise NLnet, intégrant les fondations européennes de l’open source, pour un internet et des communs libres et inclusifs: l’initiative se nomme « NGI0 Commons Fund ».
Ces millions ne sont pas les nôtres: nous allons les redistribuer, sur appels à projets, à l’écosystème du logiciel libre. Si l’effort semble minime à l’échelle européenne, son impact pourrait s’avérer plus considérable qu’on ne l’imagine, avec quelque 300 projets soutenus sur trois ans, certains affectant l’avenir de tous. Nous vous devons donc des explications.
Le logiciel libre (ou « open source ») s’impose au point de dépasser 80% du code des logiciels à l’échelle mondiale: outre les serveurs d’internet, il est partout dans nos téléphones, ordinateurs, téléviseurs, automobiles, et derrière les services dont nous bénéficions, sites marchands, réseaux sociaux ou services publics.
Nous en sommes peu conscients, dans un monde où il est admis que les recettes de cuisine soient libres (à quelques exceptions près, comme le Coca Cola ou la liqueur de Chartreuse), que le texte des romans soit accessible mais protégé par le copyright, et que le code informatique, dont dépend notre vie numérique, soit à la fois protégé et inaccessible.
Le code d’un logiciel est au système qu’il anime ce que la recette de cuisine est au plat: comme la recette, rien n’empêche qu’il soit accessible à tous. S’il ne l’est pas, il s’agit d’un choix, et si nous sommes persuadés que c’est la norme, d’une croyance.
Beaucoup connaissent Wikipedia: son code et ses données sont libres. C’est aussi le cas d’Open Street Map, service de cartographie comparable à Google Maps. Mastodon, concurrent du réseau social X (ex-Twitter), est aussi un logiciel libre.
Libre signifie que chacun peut l’utiliser, s’en inspirer, y contribuer, donc opérer des services similaires à ceux décrits, les améliorer, pallier leur absence si nécessaire. Si Google éteint Maps, vous aurez une carte grâce à Open Street Map, et si ses serveurs s’arrêtent, des entreprises, associations, universités, états et particuliers pourront aussitôt fournir un service équivalent.
Il en découle deux faits essentiels: le logiciel libre permet d’établir des services communs résilients et souverains car échappant à la mainmise d’un acteur unique, et impacte positivement nos droits et libertés publics, en nous rendant les clés de nos destins numériques. Nous avons la recette du plat que l’on nous sert!
Les communs numériques libres, comme Wikipedia, Open Street Map ou Mastodon, sont opérés par des écosystèmes collaboratifs dont la dynamique peut surprendre : l’association Open Street Map compte trois salariés. S’y ajoutent nombre de bénévoles et associations du monde entier contribuant à programmer, cartographier ou héberger des serveurs, une galaxie d’entreprises commercialisant des applications ou services qui y sont liés, des universités ou services publics (comme l’IGN en France) fournissant des données cartographiques ou des moyens informatiques, des donateurs, des subventions d’Etats, du mécénat d’entreprises, etc.
Une association minuscule assortie d’un écosystème bourdonnant et passionné engendre un concurrent crédible à Google Maps, non intrusif et résilient. Mastodon, guère mieux loti en termes d’emplois directs, menace X, sans algorithme faisant primer le sensationnel sur la qualité. Wikipedia est notre principal point d’accès au savoir, sans collecter nos données privées.
La fable de la « licorne », startup issue d’un garage soutenue par des investisseurs visionnaires pour conquérir le monde, se voit opposer un récit alternatif: le commun issu de logiciels libres, qu’un écosystème enthousiaste transforme en succès mondial. Y adhérer collectivement, plutôt qu’au précédent, lui octroierait le même pouvoir auto-réalisateur, mais orienté vers la démocratie et les libertés civiles: changer de mythe change le monde!
Que vingt-sept millions d’euros et l’action conjointe de quelques fondations à soutenir le genre de projets que l’on vient d’évoquer y suffisent n’a rien d’invraisemblable, car c’est à vous, à nous tous qu’appartient d’écrire un récit nouveau: nous attendons vos projets et idées, bienvenue, et merci d’avance!
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