Dans un communiqué daté du lundi 31 juillet, Twitter – rebaptisé X – annonce avoir porté plainte contre le Center for Countering Digital Hate (CCDH, « Centre pour la lutte contre la haine numérique »). D’après le réseau social, l’ONG anglaise a tenu « une série d’affirmations troublantes et sans fondement, qui semblent calculées pour nuire à Twitter de façon générale, et plus spécifiquement à son activité de publicité numérique », selon les termes utilisés par l’avocat de l’entreprise dans une lettre envoyée au CCDH le 20 juillet.
Dans son courrier, Twitter centre ses accusations sur une série d’études publiées récemment par l’ONG, dans lesquelles cette dernière accuse la plate-forme de laisser prospérer des comptes haineux. Dans l’un de ces travaux, rapporte le New York Times, le CCDH avait ainsi constaté que, sur 100 comptes Twitter Blue signalés comme propageant un discours de haine, 99 n’avaient fait l’objet d’aucune sanction. Selon Twitter, l’ONG aurait choisi ces comptes de façon partisane, en optant pour des membres qui ne se « conforment pas à [son] agenda idéologique ».
Une méthodologie remise en cause
En outre, selon l’entreprise, la méthodologie de ces études serait erronée. Une critique partagée en partie par Alex Stamos, l’ancien chef de la sécurité de Facebook, désormais professeur adjoint au Centre pour la Sécurité et la Coopération Internationale, à l’université de Stanford (Etats-Unis). Dans un podcast publié le 31 juillet, l’universitaire reproche à l’ONG de soutenir « des affirmations qui ne sont pas étayées par des preuves, et ne sont certainement pas contrôlées par des pairs, tout comme elles n’emploient aucune sorte de critère ou standard méthodologiques qui puissent être observés et prouvés par des tiers ».
« Je ne les ai jamais vus inventer quoi que ce soit », tempère néanmoins l’universitaire, qui souligne également que Twitter, à la différence de Facebook, complique beaucoup le travail des chercheurs qui travaillent sur la haine en ligne, en gênant l’accès à certaines données, et en empêchant l’accès à d’autres.
Dans le courrier de son avocat, Twitter accuse par ailleurs, sans apporter pour l’heure d’éléments de preuves, le CCDH de se financer auprès de concurrents de Twitter et de « gouvernements étrangers ». Une accusation que l’ONG réfute dans les colonnes du New York Times, affirmant n’accepter « aucun financement d’entreprises technologiques ou de gouvernements ». « De la part d’un réseau social, c’est une montée en pression sans précédent envers les chercheurs, s’inquiète le fondateur de l’organisation, Imran Ahmed, cité par l’agence Associated Press. Musk a déclaré une guerre ouverte. S’il réussit à nous réduire au silence, d’autres chercheurs suivront. »
Liberté d’expression
Dans son communiqué, le réseau social conteste les accusations de laisser-faire. Il prétend avoir amélioré sa lutte contre les contenus haineux grâce à l’application de règles innovantes. « Aujourd’hui, plus de 99,99 % des contenus sont sains », soutient l’entreprise – un chiffre invérifiable. Twitter y rappelle également son engagement pour la liberté d’expression, dont Elon Musk est un partisan absolutiste.
Depuis l’arrivée du milliardaire à sa tête en octobre 2022, Twitter a assurément libéré la parole de certains membres du réseau social, mais également bloqué des comptes qui lui nuisaient personnellement. Par ailleurs, l’entreprise a envoyé des signaux particulièrement négatifs concernant sa lutte contre la haine en ligne, une problématique ancienne pour ses équipes.
Twitter fonctionne ainsi depuis plusieurs mois avec des moyens humains extrêmement réduits et s’est notamment débarrassé de l’essentiel de son équipe de modération, permettant aux contenus agressifs de prospérer. Sur son compte Twitter personnel, Elon Musk a multiplié les appels du pied au mouvement suprémaciste blanc américain, reprenant et amplifiant occasionnellement des arguments circulant dans la fachosphère et la communauté complotiste. M. Musk a également autorisé le retour sur Twitter de personnalités d’extrême droite au discours violent, dont certains défenseurs de théories nazies ou homophobes, acceptant notamment, il y a trois jours, la réactivation du compte du rappeur Kanye West, dont les déclarations antisémites avaient choqué en décembre 2022.
Dans les prochains mois, Twitter aura sans doute à s’employer sur d’autres fronts juridiques. Son changement de nom et de logo en X pourrait ainsi poser des problèmes de droits (il existe déjà des centaines de marques déposées en lien avec cette lettre aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe), de même que le panneau géant installé sur ses locaux de San Francisco qui, s’il doit à présent être retiré, a fait l’objet de vingt-quatre plaintes ainsi que d’une enquête ouverte par la municipalité.