La firme a eu recours à ce procédé d’extinction d’urgence à plusieurs reprises en France. Une pratique qui pourrait s’apparenter à de l’obstruction à la justice.
Lobbying au plus haut sommet du pouvoir politique français et des institutions européennes, méthodes aux frontières de la légalité, valorisation de la violence pour servir ses intérêts économiques… Publiés depuis hier notamment par Radio France et Le Monde, les premiers articles rédigés grâce aux Uber files montrent à quel point le géant des VTC a usé durant des années de techniques nauséabondes pour faire avancer la loi à son avantage et asseoir sa domination dans ce secteur.
Parmi tous ces articles passionnants, il y en est un qui nous a particulièrement tapé dans l’œil. Car il montre comment Uber a aussi utilisé la technologie pour se sortir de situations critiques, notamment plusieurs perquisitions menées lors de son siège parisien.
Un excellent papier de la cellule d’investigation de Radio France montre en effet dans le détail comment les dirigeants de la firme ont mis en place un « kill switch » (ou « coupe-circuit » en bon français), afin d’empêcher des yeux indiscrets de mettre la main sur des données sensibles. Il permettait aux responsables de la firme de rendre inopérants les ordinateurs portables en l’espace de quelques secondes.
Radio France raconte par exemple comment, le 16 mars 2015, Uber a fait obstruction à une armée de 25 policiers de la police judiciaire qui avait débarqué dans les locaux d’Uber France, à Paris. L’entreprise est à l’époque la cible d’une enquête du parquet de Paris autour de la légalité de son service Uber Pop, qui met en relation des clients avec des chauffeurs non professionnels.
À peine les policiers rentrés, les ordinateurs du bureau s’éteignent. Les agents les saisissent, mais ils n’obtiendront pas grand-chose de leur analyse : ces ordinateurs ont été désactivés à distance, après qu’un responsable français d’Uber a envoyé un message en urgence à sa hiérarchie. De « hauts responsables » d’Uber commenteront ensuite, dans un SMS, vu par les journalistes de Radio France : « L’accès aux outils informatiques a été coupé immédiatement. La police ne pourra pas récupérer grand-chose, voire rien du tout. »
« Activez le kill switch immédiatement »
Uber a eu recours à cette technique à plusieurs reprises et ce dès 2014, d’après Radio France, alors que la DGCCRF interroge trois employés de la firme à Lyon. « Nous avons coupé leur accès et envoyons un avocat dès que possible » écrit alors Zac de Kievit, à l’époque directeur juridique « Europe » d’Uber.
Les documents internes de l’entreprise montrent aussi que ce « kill switch » était loin d’être réservé à la France, puisqu’il a été déclenché dans sept pays, dont l’Inde, le Canada, la Belgique… et aux Pays-Bas. Un pays « clé » pour Uber, car c’est là-bas que se trouve son siège international.
Perquisitionné à plusieurs reprises – là encore à l’occasion d’une enquête autour d’Uber Pop – le siège d’Amsterdam a ainsi droit aux messages direct du grand patron, Travis Kalanick himself. Le 2 avril 2015, à l’occasion d’une nouvelle descente de police, il envoie à ses équipes un courriel sans équivoque : « Activez le kill switch immédiatement… L’accès d’Amsterdam doit être coupé ».
Uber fait son mea culpa
Travis Kalanick a quitté l’entreprise en 2017 et depuis, Uber cherche à redorer son blason, terni par une multitude d’affaires bien avant que l’on ne découvre ces documents. La firme a notamment tenu à dire à Radio France qu’elle ne « disposait plus d’un ‘coupe-circuit’ (Kill switch) conçu pour déjouer les enquêtes réglementaires à travers le monde, et ce depuis que Dara Khosrowshahi est devenu PDG d’Uber en août 2017 ». Elle rappelle qu’elle continue à utiliser ces technologies dans certaines situations – un vol d’ordinateur portable, par exemple -, ce qui est logique. Mais, précise-t-elle, « il n’aurait jamais dû être utilisé de la manière dont il l’a été. »
Un mea culpa qui s’inscrit dans un cadre bien plus large. Dans un communiqué, la firme va jusqu’à dire qu’elle ne « cherche pas d’excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu’entreprise. Nous demandons au public de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir. » Dont acte.
Source :
Radio France