La crise sanitaire a tellement contraint les services publics à se réorganiser, restreindre l’accueil physique et numériser les démarches qu’elle les a éloignés de leurs usagers, notamment ceux qui en ont le plus besoin : les personnes précaires et démunies. « Notre accueil ne désemplit pas », témoigne Sixtine Perussel, responsable, à Bordeaux, d’Emmaüs Connect, association d’aide à l’usage du numérique.
Ce phénomène, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance consultative composée d’élus, d’associations et de sociologues, le constate à travers son baromètre, publié ce vendredi 13 mai. Cet outil de « suivi qualitatif » de la pauvreté permet d’appréhender les effets sociaux de la pandémie et les conséquences économiques de l’inflation brutale surgie au premier trimestre 2022.
Entre octobre 2021 et février 2022, le CNLE a interrogé 128 acteurs de terrain dans la France entière – travailleurs sociaux, associations de lutte contre l’exclusion, gestionnaires de structures d’hébergement, d’ateliers et de chantiers d’insertion, réseaux bancaires (Crédit municipal…) ou encore institutions (Défenseur des droits, Centre national des œuvres universitaires et scolaires, Pôle Emploi, Centre du droit des femmes, points d’information médiation multiservices). Tous s’accordent à constater « une montée de l’agressivité du public » face à eux, « une crispation de la société », qu’ils relient aux « difficultés d’accès aux droits, de dialogue avec l’administration, à l’absence d’interlocuteurs à même d’entendre leurs difficultés », souligne le baromètre.
« Source de blocage »
A Bordeaux, Mme Perussel reçoit un public très diversifié, avec une majorité de 30-55 ans. Une réalité qui contredit l’idée que seules les personnes âgées bataillent avec Internet. « Chaque étape est source de blocage. Il faut d’abord avoir un équipement et une connexion. Or, sans compte en banque, impossible de souscrire un abonnement à Internet et beaucoup de personnes n’ont plus de banque », résume-t-elle. Et d’énumérer d’autres difficultés : « Sans adresse e-mail, impossible de communiquer avec l’administration, qu’il s’agisse de Pôle Emploi, de la Sécurité sociale, des allocations familiales, des impôts… ; sans imprimante-scanner, impossible de joindre un document dans le bon format, puisque nombre d’administrations n’admettent pas les simples photos… »
L’Insee confirme dans une enquête publiée le 11 mai que « 32 % des adultes – mais 53 % des personnes défavorisées – ont renoncé à effectuer une démarche administrative en ligne en raison de sa complexité », qu’il s’agisse d’une demande de logement social, de place en crèche et surtout de prestation sociale pour laquelle les demandeurs « n’ont pas pu joindre un interlocuteur compétent ».
Il vous reste 41.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.