PUBLIC SÉNAT – SAMEDI 17 FÉVRIER À 21 H 00 – DOCUMENTAIRE
Face à la profusion des écrans, Gilles Vernet, instituteur et réalisateur, a mené une expérience originale. Cet ancien tradeur a proposé à ses élèves de CM2 de l’école Manin, dans le 19e arrondissement de Paris, de les faire réfléchir à la place qu’occupent les écrans dans leur vie, le temps d’une année scolaire. Il avait déjà réalisé un documentaire, remarqué, intitulé Tout s’accélère, en 2016, où il s’interrogeait avec sa classe sur l’accélération vertigineuse de notre monde.
L’expérience est simple, il propose à chacun d’inscrire chaque jour dans un tableau le temps passé devant le téléphone, la télévision, la console… avec l’aide d’un chronomètre qui leur est fourni. Les données sont comparées. Les résultats sont très variables d’un enfant à l’autre, de quatre-vingt-dix minutes quotidiennes à… six heures trente ! C’est aussi un moyen de leur donner une boussole face à la moyenne nationale de connexion : quatre heures quarante-cinq par jour pour les 8-12 ans et six heures quarante-cinq pour les 13-18 ans.
Ses élèves, d’une dizaine d’années, se prêtent facilement au jeu. Leurs propos sont d’une grande lucidité, non dénués de poésie : « C’est comme si un fil invisible venait s’accrocher à ton cerveau pour que tu restes accroché à ton écran » ; « Comme les papillons de nuit, attirés par la lumière… »
Les parents, associés au projet, confient parfois être désemparés : « J’ai perdu tout contrôle », dit une mère. D’autres se disent soulagés de voir cette question abordée à l’école. Durant l’année scolaire, Gilles Vernet a d’ailleurs convié le chanteur Aldebert, observateur du quotidien, qui vient fredonner : « Ecrans, rendez-nous nos parents » – que les enfants entonnent joyeusement en chœur.
Thématique de la pensée
Les études scientifiques ont montré les effets de l’usage des écrans sur la capacité d’attention, le langage, l’isolement, l’inaptitude à l’attente, énumère l’enseignant. Il évoque aussi tout ce que l’on fait moins – ou plus : sortir, faire de la trottinette, se balader, lire, s’ennuyer… La psychologue clinicienne Sabine Duflo appelle à légiférer, à l’instar du tabac et de l’alcool.
Bien au-delà du constat, l’intérêt du documentaire est de donner à comprendre. L’enseignant aborde le mythe de Narcisse en évoquant les influenceurs et les réseaux sociaux, il fait revoir les divisions à ses élèves en calculant leur temps d’écran. Son objectif ? « Leur montrer que nous pouvons reprendre le contrôle sur les écrans. » Il les sensibilise à l’addiction possible, car, « si ces objets nous ouvrent d’innombrables possibilités, ils nous livrent une guerre pour capter notre attention ».
Et de poser la grande question : « Que peut-il se passer dans un monde où l’on a moins de mots ? » Là encore, les réponses des élèves sont justes : « Ça risque d’être une catastrophe » ; « On a besoin du langage pour dire ce qu’on pense, ce qu’on ressent » ; « Le langage, c’est un superpouvoir. » La thématique de la pensée est placée au premier plan.
A la fin de l’année, Gilles Vernet les emmène durant dix jours en classe verte déconnectée afin de se reconnecter au réel… et de montrer la force du lien. Outre ses vertus pédagogiques, ce film, où on tutoie le bonheur, montre des enfants, à l’aube du collège, d’une grande lucidité et doués d’esprit critique, aptes à devenir des esprits libres, dès lors qu’ils sont guidés. Un message d’espoir.
Et si on levait les yeux ? Une classe face aux écrans, documentaire de Gilles Vernet (Fr., 2023, 52 min). Suivi d’un débat présenté par Rebecca Fitoussi, dans le cadre de l’émission « Un monde en doc », sur Public Sénat.