Le vote visant le réseau social chinois TikTok intervenu le 13 mars à la Chambre des représentants du Congrès des Etats-Unis a de quoi rendre perplexe. Dans le pays qui se présente volontiers comme le temple de la libre entreprise, des élus républicains et démocrates ont décidé à une large majorité de forcer ByteDance, la société mère de TikTok, à choisir entre la vente de l’application, dans un délai de 180 jours, ou son interdiction, par le biais de son exclusion des magasins d’applications d’Apple et de Google.
Ce vote a suscité des coalitions incongrues, comme celle qui a rapproché, contre ce dernier point, l’élue de gauche du Parti démocrate Alexandria Occasio Cortez (Etat de New York), motivée par des arguments de fond, le sénateur républicain libertarien Rand Paul (Kentucky) et Donald Trump. Ce dernier, ancien pourfendeur de TikTok, s’est en effet ravisé en estimant que cet acharnement ferait le jeu d’autres réseaux sociaux qu’il considère comme lui étant hostiles.
La réplique de la Chine n’a pas été moins piquante. Pékin a en effet réagi à cet interventionnisme agressif en déplorant une décision qui va « dans le sens contraire du principe de concurrence loyale et des règles internationales en matière d’économie et de commerce ». On sait combien le Parti communiste chinois se montre généralement soucieux de ce principe et de ces règles. Au moins la Chine a-t-elle eu la décence de ne pas crier à la censure de l’Internet, élevée au rang d’art à l’intérieur de ses frontières.
Adoption à la hussarde
Pour avoir force de loi, le texte de la Chambre des représentants doit encore franchir l’obstacle du Sénat, où des élus ont fait savoir qu’ils entendaient défendre fermement d’autres principes, à commencer par celui de la liberté d’expression garantie par le premier amendement de la Constitution. La partie n’est donc pas encore jouée.
Personne ne peut contester que l’extraordinaire popularité du réseau social chinois puisse nourrir les interrogations du législateur. La forte amende infligée en Italie pour manque de contrôle à propos de contenus pouvant présenter un danger pour les utilisateurs les plus jeunes l’atteste. Au-delà des phénomènes d’addiction qu’il entretient, mais qui concernent aux Etats-Unis comme ailleurs tous les acteurs de ce marché, quelle que soit leur nationalité, les préoccupations liées à la sécurité nationale avancées à Washington ne peuvent être écartées d’un revers de main.
Sous pression depuis de longs mois, ByteDance a déjà fait des gestes, comme un investissement d’un montant de un milliard de dollars pour que les données des utilisateurs américains soient stockées par une tierce partie aux Etats-Unis. Mais les soupçons de manipulation de l’opinion téléguidée par Pékin en année électorale agités lors du vote doivent être étayés. Or la Chambre des représentants a adopté à la hussarde sa proposition de loi sans que des éléments tangibles aient été présentés aux élus.
Si le vote du 13 mars est un révélateur, c’est donc plutôt du piètre état de cette dernière. Elle est en effet paralysée par la polarisation et le désordre depuis que les républicains en ont pris le contrôle de justesse à l’issue des élections de mi-mandat. Quand le compromis devient le synonyme de trahison, la stigmatisation de la Chine et de tout ce qui peut lui être rattaché s’avère le seul terrain d’entente possible. Il s’agit d’un aveu d’impuissance, et non d’une preuve d’esprit de décision.