une telle mesure pourrait-elle s’appliquer dans l’Hexagone ?

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C’est une première en France : TikTok a été bloqué en Nouvelle-Calédonie, en proie à des émeutes depuis plusieurs jours. Une telle décision, inédite, a été prise sous le régime de l’état d’urgence instauré dans l’archipel. Mais la mesure, qui sera certainement contestée en justice, devrait être difficilement transposable dans l’Hexagone, selon des spécialistes.

Un réseau social bloqué en France pour cause d’émeutes ? Si ce cas a été maintes fois suggéré, parfois directement par Emmanuel Macron après la mort de Nahel en juin dernier, le gouvernement est cette fois allé plus loin. Mercredi 15 mai, le réseau social chinois TikTok a été « interdit » en Nouvelle-Calédonie, parmi d’autres mesures annoncées comme le déploiement de l’armée.

L’archipel est depuis plusieurs jours l’objet d’émeutes qui ont fait quatre morts, sur fond de révision constitutionnelle contestée par les indépendantistes. Cette mesure d’interdiction d’un réseau social – comprenez, de blocage – est totalement inédite : pourquoi a-t-elle été décidée pour la première fois en France, et pourrait-elle être transposée dans un contexte similaire d’émeutes, dans l’Hexagone ?

Pourquoi cette décision inédite ?

Mercredi, le gouvernement a annoncé avoir bloqué TikTok dans l’archipel. Le réseau social chinois est le seul concerné par la mesure : pourquoi cette plateforme en particulier et pas d’autres ? Selon le média local Radio 1, de nombreuses vidéos d’exactions circulaient sur ce réseau social. Interrogé sur ce point par 01net.com, Matignon n’avait pas répondu à nos questions à l’heure de la publication de cet article.

Pour Emmanuel Pointas, vice-président du tribunal de Nouméa, le fait d’avoir ciblé TikTok a une explication. S’exprimant sur BFMTV ce jeudi, le magistrat souligne que « TikTok est régulièrement mis en cause, du fait de son utilisation, dans des faits de délinquance ». Pour ce dernier, la plateforme permettait de « diffuser de l’information qui n’est pas forcément une information fiable. Et en l’état, la diffusion d’informations non fiables ne peut que développer des risques de troubles et des émeutes ».

TikTok est-elle la plateforme la plus utilisée par les émeutiers pour communiquer entre eux ? C’est vraisemblablement la raison qui aurait poussé l’exécutif à prendre une telle mesure.

Une telle mesure est-elle légale ?

La décision de blocage a été prise par Louis Le Franc, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, qui est aussi le préfet de la zone de défense et de sécurité de la Nouvelle-Calédonie et des îles de Wallis et Futuna.

La mesure s’inscrit dans le cadre de l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, décidé mercredi 15 mai (décret n° 2024-436 du 15 mai 2024) pour une durée maximale de douze jours. Ce régime d’exception, qui donne à l’État davantage de pouvoirs de police pour un temps limité, peut ensuite être prolongé par le Parlement.

Il permet au « ministre de l’Intérieur de prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie », selon le texte de loi (article 11.II de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence). 

Mais cette règle est-elle applicable aux émeutiers ? Peuvent-ils réellement être considérés comme des personnes qui appellent à « commettre des actes terroristes » ou qui en font la promotion ? La question n’est pas tranchée, mais « le lien avec le terrorisme est plus que douteux », estime Nicolas Hervieu, professeur de droit public, qui s’exprimait hier sur X.

Ce qui signifie que la décision d’interdiction pourrait être attaquée devant un tribunal administratif – via un référé liberté, un recours d’urgence. 

Concrètement, comment TikTok est-il bloqué ?

En Nouvelle-Calédonie, l’écosystème des télécoms est un peu particulier : « il n’y a qu’un opérateur susceptible de diffuser la bande passante », explique le vice-président du tribunal de Nouméa sur BFMTV, ce jeudi. Concrètement, l’État a donc demandé à cet opérateur, Mobilis, de suspendre l’adresse du serveur de TikTok.

Dans les faits, les utilisateurs de smartphones ne pourront plus télécharger l’application. En cherchant à l’ouvrir pour ceux qui l’auraient déjà installée, aucun contenu n’apparaîtrait. Mais il suffirait de passer par des VPN pour contourner ce blocage.

Cette mesure est-elle transposable dans l’Hexagone ?

La mesure d’interdiction serait difficilement transposable dans l’Hexagone, dans un contexte similaire d’émeutes. La raison est avant tout juridique. Car la question de la régulation des grandes plateformes comme TikTok est désormais régie par le DSA, le Digital Services Act qui traite notamment des contenus des plateformes. Et selon ce règlement, la France ne pourrait pas décider seule de bloquer le réseau social dans l’Hexagone.

Cela a été rappelé en juillet dernier par Thierry Breton, le commissaire européen en charge du Marché intérieur :  ni un gouvernement de l’UE, ni la Commission européenne ne pourraient ordonner, de leur propre chef, et arbitrairement, une fermeture d’une plateforme en ligne. Une suspension temporaire ou une restriction de l’accès au service d’une plate-forme ne pourrait être décidée que dans « des situations extrêmes », « en dernier recours », « comme, par exemple, en cas d’incapacité systémique (de la plate-forme, ndlr) à mettre fin à des infractions liées à des appels à la violence ou d’homicide involontaire », écrivait le commissaire européen. La coupure d’un réseau social n’est qu’une mesure adoptée après une longue procédure, pour des cas extrêmes, décidée sous l’égide d’un juge.

À lire aussi : Des réseaux sociaux coupés en cas d’appel à la révolte ? Après la lettre ouverte des ONG, Thierry Breton publie une « clarification »

Autre problème, rappelé par l’avocat spécialiste du numérique Alexandre Archambault sur X mercredi 15 mai, « les troubles à l’ordre public dans un seul État ne peuvent fonder un blocage VLOP (d’une très grande plateforme comme TikTok, NDLR) ».

Comprenez : des émeutes dans un seul pays (sur les 27) ne permettraient pas de justifier un blocage d’un réseau social. En conséquence, le gouvernement français ne pourrait vraisemblablement pas interdire TikTok dans l’Hexagone ou dans une RUP (une région ultrapériphérique comme Saint-Martin, la Martinique, La Réunion, Mayotte, la Guadeloupe, et la Guyane) dans un contexte similaire d’émeutes.

Car l’archipel, du fait de son statut de PTOM (pays et territoire d’outre-mer), n’est pas soumis au droit européen. Il n’est donc pas intégré à l’Union européenne, même s’il bénéficie d’un régime d’association, rappelle Vie publique.fr.

Combien de temps va durer ce blocage ?

Reste à savoir combien de temps un tel blocage va durer – douze jours, comme la durée maximale de l’état d’urgence, à moins qu’il ne soit prolongé par le Parlement ?  TikTok, qui a très farouchement combattu aux États-Unis toute tentative d’interdiction dans le pays, pourrait aussi décider de faire de même, en attaquant en justice une telle décision devant les tribunaux français. Contacté par 01net.com ce jeudi, le réseau social chinois n’avait pas encore répondu à nos sollicitations à l’heure de la publication de cet article.

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