« La planète Terre va s’autodétruire. Votre seule chance d’évacuer, c’est de partir avec nous. » C’est la promesse de Marshall Applewhite, dit « Do », célèbre gourou de Heaven’s Gate (« la porte du Paradis »), secte californienne millénariste biberonnée au new age et à la série de science-fiction Star Trek, née dans les années 1970. Si la proposition de Do est relativement convenue, Heaven’s Gate marque un jalon dans l’histoire des sectes. « Malgré une naissance hors ligne, les disciples de Do se sont emparés du numérique – non seulement des outils informatiques, utilisés comme arsenal de recrutement, mais surtout de la culture geek. Cette dernière a été parfaitement assimilée au corpus théologique du groupe, qui considère le langage informatique comme sacré », explique Quentin Bruet-Ferréol, journaliste et romancier, spécialiste des dérives sectaires.
Juste avant le suicide collectif de la plupart de ses membres en 1997, la secte transfère l’intégralité de sa théologie sur un site encore actif, tenant lieu de mausolée numérique. Pour le romancier, Heaven’s Gate est « la première secte de l’ère Internet ». Mais pas la dernière. Comme l’observe, dans une vidéo du site d’information Blast, l’essayiste Pacôme Thiellement : « Il n’est pas surprenant qu’Internet, depuis trente ans, ait pu installer une ambiance et une atmosphère au sein desquelles certaines personnes, dont la culture a été presque exclusivement acquise sur Internet, aient pu créer de nouvelles religions à leur image, de nouvelles religions dont elles étaient le dieu star. »
En 2017, Tsuki, énigmatique internaute, dévoile sur le forum 4chan sa nouvelle religion : Systemspace. Inspirée de l’anime Serial Experiments Lain, diffusé en 1998, Systemspace promet la vie éternelle au sein d’un paradis cyberpunk accessible à ceux morts avant le 1er juillet de la même année. A ses 5 000 adeptes (les « migrants »), Tsuki précise, dans un document Github baptisé « The Compendium », que notre réalité ne serait qu’une simulation, un « système » en péril à la suite d’une erreur de codage. A la date butoir, le site où étaient inscrits les « migrants » a disparu. D’après des interviews menées par le média anglo-saxon Vice, Systemspace pourrait être à l’origine de plusieurs suicides. Fanfiction cryptique, farce cruelle ou véritable secte ? Si aujourd’hui encore le flou demeure, d’autres organisations ne laissent pas de doutes quant à leur nature sectaire.
TikTok et évangélisme
C’était le cas du groupe Love Has Won (« l’amour a gagné »), fondé autour de 2014 par l’Américaine Amy Carlson, alias Mother God, une « vieille âme » âgée de quelque 19 milliards d’années. Pour répandre la bonne parole, Mother God et sa poignée de fidèles diffusaient en direct, par le biais de YouTube Live, le quotidien de la petite communauté installée à Crestone, hameau du Colorado.
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