Cette semaine, les 10 et 11 décembre, c’était à Paris le salon Open Source Experience (OSXP, descendant de Solutions Linux), à la Cité des Sciences de la Villette (pour les anciens, on aura tout connu géographiquement, le Cnit à La Défense, le Parc des expositions porte de Versailles, Aubervilliers, le Palais des Congrès porte Maillot…). Une bonne part du petit monde des logiciels libres et open source français était à ce rendez-vous annuel, côté entreprises et dans le village des associations. Plein de choses intéressantes comme toujours: voici des notes et liens pris à cette occasion.
Enjeu: « la décolonisation numérique »
Open Source Experts (présenté ici) a publié un livre blanc d’une forte actualité, « Open source, souveraineté et indépendance numérique » (sous-titré « Maîtriser ses dépendances technologiques : un enjeu stratégique pour les organisations »). Utile document de 37 pages, sous licence libre (CC by-sa). Avec en exergue cette citation de la Cour des comptes (voir son récent rapport – PDF – sur «les enjeux de souveraineté des systèmes d’information civils de l’Etat», présenté là dans ZDNet):
«L’ambition affichée par la France en matière de souveraineté numérique peine à être satisfaite du fait notamment de la position prééminente des entreprises américaines et de la législation qui leur est applicable.»
Stefane Fermigier, cofondateur du CNLL et CEO d’Abilian, a quant à lui présenté, lors de son intervention mercredi sur « Construire la souveraineté et la compétitivité européennes» la feuille de route de l’Alliance européenne pour les données industrielles, l’edge et le cloud. avec son enjeu, «la décolonisation numérique». Parenthèse spéciale vétérans: le livre «Le Hold-up planétaire» de Roberto Di Cosmo et Dominique Nora (PDF en accès libre là), qui exposait l’accaparement par Microsoft et présentait le modèle des logiciels libres, remonte à 1998… Aura-t-il fallu l’arrivée de Trump et ses alliés de la Big Tech pour que les politiques et les entreprises commencent, un peu, à s’intéresser enfin à la question?
La résilience, un sujet dans les conseils d’administration
Autre intervention à OSXP, celle de Laurent Tréluyer, directeur délégué de la DSI de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), qui a souligné la croissance continue des dépenses cloud et logiciels à destination des acteurs américains et la difficulté de négocier qu’entraîne la dépendance. Il a mentionné le rapport Cigref-Asterès (publié en avril) sur «la dépendance technologique aux softwares & cloud services américains: une estimation des conséquences économiques en Europe». Les prix grimpent en moyenne de 10 à 15% par an, selon l’estimation des tendances du marché 2025, avec un doublement d’ici dix ans. «La résilience est un sujet qui à présent est arrivée dans les conseils d’administration», a affirmé Laurent Tréluyer.
La souveraineté était le thème d’une des tables rondes, intitulée «Initiatives clés de l’industrie open source pour construire la souveraineté et la compétitivité européenne». Michel Paulin, président du comité stratégique de filière (CSF) des acteurs du numérique de confiance, a précisé éviter le terme de souveraineté, auquel il préfère celui de dépendance. «L’open source est une clé majeure pour s’affranchir des dépendances technologiques, même si elle n’est pas suffisante», a-t-il souligné. Il a rappelé à ce propos les lois américaines donnant accès à l’État américain aux données extraterritoriales, en particulier avec FISA (le Foreign Intelligence Surveillance Act), «le plus pernicieux».
Cristina Caffarra, présidente de l’EuroStack Initiative Foundation, a rappelé le rapport Draghi de 2024, et déploré «nous sommes en train de mourir» face à la Chine, aux Etats-Unis et autres. Le récent sommet européen sur la souveraineté numérique? Il y a eu beaucoup de propos encourageants, mais qu’en sort-il? a-t-elle interrogé.
Une attaque de La Suite numérique
Pierre Pezziardi, préfigurateur du Digital Commons-EDIC, a présenté ce consortium pour une infrastructure numérique européenne commune numérique (EDIC en anglais), et mentionné sa propre candidature, «je vais essayer d’en prendre la direction».
Il a également vanté La Suite numérique, qui atteint 400.000 utilisateurs actifs dans le secteur public français – occasion d’une manifestation de «désaccord total» de Michel Paulin, pour lequel cette concurrence aux éditeurs n’a pas de sens – «chacun à sa place» (cf. sur la question l’éreintage l’an dernier de la Dinum par le CNLL). L’État fait 15% de ses achats auprès des éditeurs français alors que le secteur privé c’est 35%, l’État est «le plus mauvais acheteur français». Au lieu de concurrencer les éditeurs, la Dinum ferait mieux de rappeler à l’ordre l’Education nationale quand elle choisit Microsoft, a-t-il martelé: «Appliquons avec fermeté nos réglementations » au lieu d’en créer de nouvelles.
Cristina Caffarra a souligné à ce propos que l’Union européenne est une exception dans le monde en ne pratiquant pas (à l’échelle de l’UE) de préférence nationale, contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine notamment. D’ici OSXP 2026, aura-t-on de meilleures nouvelles sur le sujet, en France et en Europe? On croise les doigts…
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