Le casque de réalité mixte d’Apple est-il vraiment celui de la « dernière chance » pour la VR ?

Apple se prépare à lancer son premier casque de réalité mixte.


Analyste réputé, Ming-Chi Kuo constate que le marché de la VR ne se porte pas bien, et attribue à Apple un rôle essentiel : celui de la dernière chance pour la réalité virtuelle. Mais si cette technologie devait ne jamais décoller, serait-ce un problème pour autant ?

Dans un bref post sur Medium, Ming-Chi Kuo, analyste reconnu pour la justesse de ses prédictions sur les intentions d’Apple et ses futurs produits, est revenu sur quelques éléments clés du marché de la réalité virtuelle. Trois détails significatifs qui semblent montrer que la réalité virtuelle s’englue peu à peu dans un marasme destructeur, qu’elle s’apprête à entrer dans un nouvel hiver. Le dernier ?

  • Premier des trois points mis en avant, le fait que Sony a coupé la production pour 2023 de son PSVR 2 d’environ 20 %. Comme si cette deuxième génération ne trouvait pas plus son public que la première.
  • Deuxième point, le Quest Pro, de Meta, devrait s’écouler à seulement 300 000 unités au cours de sa vie commerciale. Une projection peu glorieuse…
  • Troisième point, Pico, plus grosse marque de casque de VR/AR en Chine, a enregistré des ventes de casques 40 % plus basses que ce qui était attendu au cours de l’année 2022. Comme si le marché avait déjà atteint sa phase de maturité, plafonnait.

Des défauts en forme de cercle vicieux

Trois repères qui semblent dessiner un contexte peu favorable à la réalité virtuelle et augmentée. L’analyste en tire d’ailleurs trois conclusions, dont deux sont particulièrement intéressantes.

La première est qu’il n’y a pas assez de preuves tangibles, actuellement, pour être certain que les casques de VR/AR vont devenir les prochains produits stars auprès du grand public dans un futur proche. Voilà qui reflète un point de vue assez globalement partagé dans la presse tech et parmi les observateurs « objectifs » du marché.

À l’heure actuelle, les casques VR les plus populaires souffrent en effet d’au moins trois défauts, qui se répondent en écho et forment un cercle vicieux.

  • Tout d’abord, des limitations techniques encore relativement importantes qui font qu’il est toujours inconfortable de les porter longtemps, que ce soit pour jouer, travailler ou se divertir.
  • Ensuite, un manque prégnant d’usages qui pourraient justifier l’acquisition des casques de VR/AR – qui sont d’ailleurs plus VR qu’AR, dans les faits. Il manque encore cette fameuse killer app, qui fera que les foules en liesse se rueront sur ce nouveau marché.
  • Enfin, dernier défaut, le prix. Les modèles qui offrent les expériences les plus réussies ou agréables sont encore trop chers pour ce qu’ils sont techniquement et apportent en matière d’usage. Un serpent qui se mord la queue, vous l’avez compris.

Apple, « dernier espoir »

Dès lors, Apple est attendu comme le messie. Comme s’il fallait un géant à la taille colossale et à l’expérience unique pour inverser la malédiction, la destinée d’une technologie qui a, par ailleurs, de vrais atouts ponctuels auprès de fans convaincus ou dans le monde professionnel, de la communication et de la culture. Et chacun se repasse en boucle les triomphes passés et actuels du géant de Cupertino.

C’est d’ailleurs la deuxième conclusion de Ming-Chi Kuo, que nous retenons. Selon l’analyste, l’annonce par Apple de son premier casque est sans doute « le dernier espoir pour convaincre les investisseurs que les casques de VR/AR ont une chance de devenir un succès populaire ». Un dernier espoir, et une pression colossale. Reprenons alors les trois défauts listés ci-dessus.

Certes, Apple a les moyens financiers pour pousser la R&D au plus loin, ce qui pourrait aplanir certaines des limitations techniques et des désagréments liés à l’utilisation prolongée d’un casque. On pense notamment au mal de la VR, qui tient beaucoup à la qualité des affichages, à leur fluidité et à la latence, même minime, entre le flux vidéo et le son.

Le géant de Cupertino a réussi à associer des usages forts aux iPhone, aux iPad ou, bien sûr, aux Mac. Il a également su mettre en place des App Store pour « sous-traiter » le travail essentiel du génie logiciel, qui apporte des usages aux utilisateurs et les fidélisent.

Vient la question du prix, en définitive. Et là, les choses se gâtent, car ceux annoncés (plus ou moins 3 000 dollars) par les différentes indiscrétions sont faramineux. Outre qu’Apple aime les marges élevées, ces tarifs supposés montrent aussi une réalité : à l’heure actuelle, pour dépasser certaines barrières techniques, il faut opter pour des technologies coûteuses… Qu’il s’agisse de capteurs avancés (lidars, par exemple) ou de processeurs surpuissants. Ces investissements sont nécessaires pour pouvoir séduire plus d’utilisateurs, mais leur coût ont l’effet contraire… Un paradoxe qui donne l’impression que le marché des technologies disponibles n’est peut-être pas encore prêt.

Crédit : Meta

Une vieille nouvelle techno

Mais est-ce problématique ? A-t-on besoin que la réalité virtuelle devienne une technologie grand public ? Les geeks ou nerds les plus âgés se souviennent sans doute de ces dossiers enthousiastes que la presse tech et jeux vidéo publiait dans les années 90. Les promesses étaient déjà grosso modo les mêmes, le terme de métavers, fraîchement inventé, existait déjà, les fantasmes de combinaisons sensorielles aussi…
Trente ans plus tard, le monde de la tech, à court de nouveaux marchés à conquérir, trépigne et veut s’inventer un nouvel Ouest sauvage. Ce sera la réalité virtuelle, première étape vers le nouveau continent de l’AR, comme l’Oklahoma a été la première (dernière ?) étape de la colonisation du Far West américain. La bonne nouvelle, il ne devrait pas y avoir d’Indiens d’Amérique à massacrer cette fois-ci. La mauvaise nouvelle, cette course en avant vers toujours plus de croissance technologique et financière a montré qu’elle est autant la solution que le problème dans un monde où l’Homme laisse trop sa trace.

Un CV sans commune mesure

Mais, au-delà de ces considérations « philosophiques », il est important de revenir sur ce qui fait d’Apple le dernier champion de ce futur « augmenté ». On cite le Macintosh, l’iPod, l’iPhone et l’iPad, et se risque parfois à ajouter la Watch à la liste. Qui est, rappelons-le, le tout dernier nouveau produit qu’Apple ait lancé.

  • Le Macintosh a pris la vague d’une révolution qui était déjà née, et se nourrissait de besoins croissants, avec la promesse de faciliter la vie et d’accélérer certaines tâches.
  • L’iPod n’a fait que répondre intelligemment et avec son ingéniosité ergonomique à la numérisation de la musique et à un marché de la mobilité musicale préexistant.
  • L’iPhone a trouvé le point d’équilibre où le sacrifice fonctionnel, lié à la juxtaposition de plusieurs fonctions dans un seul produit, était acceptable. Il a su ensuite reproduire le miracle de l’ordinateur personnel en le glissant dans nos poches.
  • Avec l’iPad, les choses se compliquent déjà un peu plus. Le produit qui devait faire entrer l’humanité dans l’ère du Post-PC justifie son existence auprès d’une frange de la population comme terminal de consultation, et tente d’en séduire davantage en remplaçant les ordinateurs portables. Autrement dit, en cannibalisant des usages pré-existants.
  • La Watch, elle, a sauvé des vies, certes, et se rend utile quand vous êtes sportif ou malade. Mais, remplacez-la par une montre classique ou moins intelligente, et l’essentiel de son intérêt sera compensé.

Pourquoi ce rapide survol de ces grandes familles de produits ? Pour montrer qu’Apple n’a jamais vraiment inventé des usages, il y a répondu, corollaire de la règle qui veut que le géant californien arrive généralement sur un marché existant, qui a atteint un seuil, un plafond de verre. Et c’est là le savoir-faire d’Apple trouver la porte d’entrée, l’astuce ergonomique, le compromis technologique, qui rendra acceptable l’utilisation au quotidien. Mais est-ce possible avec la réalité virtuelle ? Est-il possible de créer une conjonction entre VR et grand public ? 

 L’AR sans la VR ?

Autrement dit, Apple va-t-il initier l’an I de la réalité virtuelle grand public ? Seul le futur le dira évidemment. Mais, au-delà de cette question, s’en profilent deux autres La première : le grand public a-t-il vraiment besoin de la réalité virtuelle, qui est une technologie hautement individuelle dans sa consommation ? Sur ce point, Tim Cook ne dit rien d’autres quand il pointe du doigt le fait que la VR isole, par définition, et qu’Apple ne veut pas que ses utilisateurs se coupent du monde – dans un monde où la guerre de l’attention est mal vu, promettre un Eldorado virtuel pour ne pas dire des paradis virtuels n’est pas une démarche très saine. Même Facebook devenu Meta semble l’avoir compris.
La seconde question est peut-être plus importante encore : la prochaine étape, l’inaccessible réalité augmentée omniprésente, celle qui pourrait changer notre quotidien, a-t-elle besoin que la réalité virtuelle triomphe pour venir au monde ?  Technologiquement, d’un point de vue de la R&D – développement des optiques, des processeurs, des batteries, etc. -, la VR semble être un point d’étape nécessaire pour préparer le
hardware des lunettes AR. Mais, d’un point de vue des usages, le lien paraît plus flou. Le champ d’application de la VR paraît bien plus réduit ou en tout cas cantonné à l’intérieur. Le potentiel de l’AR réside dans l’omniprésence de son intérêt… La VR serait alors une forme de laboratoire de R&D pour l’AR, mais depuis quand la R&D a besoin d’être un triomphe commercial ?
Lier l’avenir de l’AR à celui d’un casque de VR revient peut-être un peu à espérer que le succès d’un vélo d’appartement permettra au marché des vélos de route de décoller. Il y a comme un raccourci mal venu. Espérons qu’Apple l’aura compris, et le monde de la tech aussi.





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