Les Jeunes avec Macron (JAM) vont-ils recevoir une mise en demeure d’Apple ? Samedi dernier, les JAM ont présenté leur affiche de campagne pour les élections européennes, qui sera « collée dans toute l’Europe », pour soutenir les listes « Renew », dont fait partie « Renaissance », le parti politique d’Emmanuel Macron. « Pour la première fois, de Lyon à Prague, de Paris à Berlin et de Berlin à Madrid, nous allons partager la même affiche », écrivent-ils dans un message sur X.
Sur le poster présenté ce jour-là, on peut voir deux éléments qui font référence à Apple, l’entreprise de Tim Cook : les mots « Think different, Renew Europe » reprennent une partie du slogan d’Apple « Think different » (« pensez différemment », en français). L’étoile jaune censée représenter l’Europe est aussi croquée à droite, comme l’est la pomme du logo d’Apple.
Avec nos partenaires européens nous dévoilons, à Strasbourg, notre nouvelle affiche qui va être collée dans toute l’Europe 🇪🇺
« Pour la 1ère fois, de Lyon à Prague, de Paris à Berlin et de Berlin à Madrid, nous allons partager la même affiche » @AllanBouamrane pic.twitter.com/xRZdYtcXFR
— Les Jeunes avec Macron (@JeunesMacron) February 3, 2024
Pour les JAM, c’est une parodie
Pour Albane Branlant de l’équipe des JAM, que nous avons interrogée, il s’agissait, avec cette affiche faite avec les partenaires européens du parti, de « parodier des éléments d’actualité populaire. En 2022, on a fait Netflix, en 2023, c’était Deezer. Cette année, on a continué en reprenant un peu les codes d’Apple ». Les trois sociétés « sont des acteurs du numérique qui sont utilisés au quotidien par des millions d’Européens » ajoute la militante politique.
Pour cette campagne, explique-t-elle, « des milliers de questionnaires ont été envoyés en France et en Europe pour demander aux Jeunes ce qu’ils pensaient de l’Europe, quelles étaient leurs grandes ambitions, qu’est-ce qui, à leurs yeux, ne marchait pas. Et de là, on a sorti cette affiche qui a été proposée aux partenaires européens, et sur laquelle il y a eu un accord », poursuit-elle.
Apple et sa stratégie offensive de protection des marques
L’affiche a suscité de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux. Mais d’un point de vue juridique, les JAM ne craignent-ils pas d’être attaqués par Apple, que nous avons sollicitée, et qui n’avait pas répondu à notre demande à l’heure de la publication de cet article ? L’entreprise à la pomme est connue pour être particulièrement offensive dans la défense de ses marques, logos et slogans. Le groupe de Tim Cook n’hésite pas à entamer des actions en justice dès qu’on s’approche de près et de loin de ses pré-carrés, même de très loin.
Selon certains, la société chercherait ni plus ni moins à « s’approprier » le mot pomme. De quoi inquiéter celle qui est en charge de la communication du parti ? Sur ce point, Albane Branlant botte en touche, expliquant qu’à sa connaissance, il n’y a eu aucun problème d’ordre juridique avec les deux autres sociétés parodiées dans le passé.
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Pas d’exception de parodie en droit des marques
Pourtant, contrairement au droit d’auteur, il n’existe pas d’exception de parodie en droit des marques, souligne Clara Viguié, avocate en droit de la propriété intellectuelle. « On ne peut parodier une marque dans le cadre de la vie des affaires. En revanche, il est possible de faire usage d’une marque si les consommateurs comprennent que l’on ne vend pas des offres de produits ou de services sous la marque en question. C’est par exemple le cas lorsqu’on cite une marque dans le cadre de notre liberté d’expression ». Le contexte de campagne politique (ici les Européennes) pourrait rentrer dans ce champ.
Mais si Apple souhaitait s’y opposer, la société aurait quand même des arguments à faire valoir. Car les JAM reprennent non seulement le croqué de la pomme dans leur logo (avec l’étoile jaune du drapeau européen croquée à droite). Mais le slogan de l’entreprise « Think Different », utilisé à partir de 1997 dans une célèbre campagne publicitaire, est aussi repris. Dans ce spot, qui permettra à Apple de remonter la pente, défilent différentes personnalités « qui ont changé le monde » comme Albert Einstein, Martin Luther King, Jr, Pablo Picasso, Maria Callas ou encore Martha Graham. À la fin, la pomme d’Apple apparaît sur un fond noir, avec ces mots : « Think different ».
Et même si le groupe de Cupertino cesse de diffuser le spot en 2002, et finit par perdre, vingt ans plus tard, sa marque européenne « Think Different », faute d’avoir réussi à prouver qu’il l’utilisait toujours, ces deux mots sont toujours déposés comme marque dans de nombreux pays, dont la France. Et sans entrer dans le débat d’une possible contrefaçon de marque, qui nécessiterait un risque de confusion pour le consommateur, et un usage dans la vie des affaires, le fait est qu’en regardant l’affiche des JAM qui associe ce slogan historique d’Apple à un logo croqué, on pense immédiatement à Apple.
Une atteinte à son image de marque ?
Or, « quand on cherche à tirer profit, “sans bourse délier” comme dit la jurisprudence », de la notoriété d’une entreprise mondialement connue pour en tirer profit, on peut tomber dans ce qu’on appelle le parasitisme », explique Louise Branquart, avocate en droit du numérique. En particulier s’il s’agit de marques notoires – « des marques connues par une proportion significative de la population, qui sont tellement puissantes qu’elles attirent tout sur leur passage », poursuit l’experte.
« Les jeunes avec Macron – donc un parti politique – tirent un peu profit de la notoriété qui est attachée à Apple pour mettre en avant, eux, leur campagne politique, et faire le buzz », résume la spécialiste. Ce qui serait susceptible de constituer un détournement de la renommée de la marque d’Apple.
Car il faut bien comprendre qu’une marque sert à plusieurs choses. « Elle permet aux consommateurs d’identifier qui vend les produits. Mais à côté de cette fonction de garantie d’origine, de nombreux efforts de communication et de marketing sont réalisés autour de la marque » avec un objectif : que la marque « véhicule certaines idées », précise Clara Viguié. Ainsi, quand on pense à Apple, on pense à des Mac, à des iPhone, mais aussi à des produits de qualité, innovants, voire disruptifs. À côté de la marque, il y a son image. Et Apple n’a certainement pas envie que, sans qu’on lui demande son autorisation, d’autres personnes exploitent cette image. « Apple pourrait estimer que son image de marque n’est pas ici respectée, en soutenant également qu’elle n’a pas nécessairement envie d’être associée, sans son accord préalable, à un parti politique », ajoute l’avocate.
En conséquence, Apple pourrait réagir, si ce n’est pas déjà fait. « Apple pourrait tout à fait dire : ça fait plus de 20 ans qu’on exploite ce terme et ce logo, qu’on investit des millions pour les faire connaître. Et vous, vous vous appropriez nos investissements, notre travail et notre renommée, qui plus est à des fins politiques pouvant porter atteinte à notre image de marque ? », estime Louise Branquart. Apple a de toute façon tout intérêt à défendre ses marques, ne serait-ce que pour dissuader d’autres de faire de même, et « pour lutter contre ce qu’on appelle la déchéance de marque pour perte de distinctivité », ajoute l’avocate en droit de la propriété intellectuelle. C’est ce qui est arrivé à « certaines marques qui étaient tellement utilisées et connues qu’aujourd’hui, leur signe est entré dans le langage courant. Conséquence : leurs titulaires ont perdu le droit de les monopoliser ». Un véritable cauchemar pour Apple, qui fera certainement tout pour éviter de tomber dans cet écueil.
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