Facebook est depuis deux jours l’objet de vives critiques, aux Etats-Unis, pour avoir communiqué à la justice le contenu de conversations entre une mère et sa fille de 17 ans dans un dossier d’avortement illégal. L’enquête, et la réquisition judiciaire adressée à Facebook, datent d’avant l’annulation par la Cour suprême américaine de la décision Roe vs Wade, le 24 juin, qui consacrait le droit à l’avortement aux Etats-Unis.
Dans l’état du Nebraska, où résident les deux femmes, l’avortement est autorisé jusqu’à vingt semaines après la conception (quatorze semaines en France). La jeune femme est accusée d’avoir avorté durant sa 24e semaine de grossesse, et sa mère est accusée de complicité, pour avoir commandé des pilules abortives. Dénoncées par un informateur ou une informatrice anonyme, les deux femmes sont également accusées d’avoir enterré illégalement le foetus et d’avoir menti aux enquêteurs.
Facebook a été très critiqué pour avoir accepté de transmettre aux enquêteurs les échanges entre les deux femmes sur la messagerie Facebook Messenger, après avoir reçu une réquisition judiciaire. « Aucun élément, dans les réquisitions en bonne et due forme que nous avons reçus de la part des enquêteurs au début de juin, avant la décision de la Cour suprême, ne mentionnait un avortement, a expliqué Andy Stone, le porte-parole de Facebook. Les réquisitions évoquaient une enquête (…) sur l’enterrement ou l’incinération d’un bébé mort-né. »
Réquisition judiciaire
Comme toutes les entreprises américaines, Facebook est tenu de répondre aux réquisitions judiciaires des autorités américaines. Dans de rares cas, les grandes entreprises de la Silicon Valley ont, par le passé, contesté des réquisitions demandant l’accès à des messages privés ; en 2010, Twitter avait notamment contesté une demande d’accès aux messages privés du compte opéré par le site WikiLeaks. D’après l’outil de transparence de Meta, Facebook répond à un peu plus de cent mille demandes d’informations chaque année, rien qu’aux Etats-Unis, même si seule une partie de ces demandes concerne des messages privés.
Dans les Etats américains où l’avortement a été interdit ou va l’être, il est extrêmement probable que les forces de l’ordre adressent, à l’avenir, des demandes d’informations aux réseaux sociaux, fournisseurs d’e-mails, opérateurs téléphoniques ou autres entreprises de communication, et que ces dernières n’aient guère d’autre choix que d’y donner suite.
Les défenseurs du droit à l’avortement alertent, depuis l’annulation de Roe vs Wade, sur la manière dont les échanges en ligne pourront rapidement être utilisés pour poursuivre des femmes ayant avorté ou souhaitant le faire dans les Etats qui interdiront l’avortement. Les grandes organisations de défense des droits individuels et de la liberté d’avorter recommandent d’utiliser des messageries sécurisées pour éviter que des messages incriminants puissent être obtenus par les forces de l’ordre.
Chiffrement des messages
Contrairement aux messages échangés sur des applications sécurisées comme WhatsApp ou Signal, les échanges sur Facebook Messenger ne sont pas chiffrés « de bout en bout » par défaut – il faut activer une option pour que cela soit le cas. Lorsqu’un échange est chiffré « de bout en bout », seuls l’émetteur et le destinataire peuvent le lire ; ni Facebook, ni l’opérateur téléphonique ne peuvent avoir accès à son contenu.
Dans ce dossier, les enquêteurs ont par ailleurs déployé de très importants moyens pour accéder aux communciations entre les deux femmes : lors d’une perquisition, ils ont également saisi cinq téléphones et plusieurs ordinateurs portables, dont ils ont extrait plus de 24 gigaoctets de données.
Après la décision de la Cour suprême, les élus conservateurs du Nebraska avaient tenté de réduire le délai légal de l’avortement dans l’Etat à douze semaines après la conception. Mais même dans cet Etat très conservateur, où l’unique Chambre compte deux tiers de républicains pour un tiers de démocrates, le projet de loi avait échoué à obtenr une majorité de voix. Les sondages d’opinion récents montrent qu’une écrasante majorité des Américains est favorable au droit à l’avortement en cas de viol ou lorsque la santé de la mère est en jeu, et qu’environ 60 % des personnes interrogées sont favorables au droit à l’avortement tel qu’il était pratiqué avant la décision de la Cour suprême.