A Letter to the Future », apaisante flânerie dans un monde en déclin

A Letter to the Future », apaisante flânerie dans un monde en déclin


« Flâner est une science, c’est la gastronomie de l’œil », écrivait Honoré de Balzac dans Physiologie du mariage. Estelle, l’héroïne binoclarde de Season : A Letter to the Future, aurait pu écrire cette citation en tête de son cahier, dans lequel elle consigne les souvenirs d’une région bientôt ravagée par une mystérieuse catastrophe. Disponible sur PC, PlayStation 4 et 5 à partir de mardi 31 janvier, ce jeu d’aventure narratif se présente sous la forme d’un road trip contemplatif.

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Les trajets, à pied et à vélo, se font à faible vitesse tant les arrêts sont nombreux. Le jeu nous invite à dévorer des yeux les paysages bucoliques pour les immortaliser avec notre appareil photo ; à nous repaître des ambiances sonores et à les capturer avec un enregistreur à cassette ; à savourer les discussions avec les cinq derniers habitants et aller caresser les ultimes animaux sur place, qui ne se doutent de rien. La jeune femme se hâte avec lenteur, ce qui donne un rythme atypique à ce voyage initiatique qui s’étale sur six à huit heures.

Monologue intérieur

Un simple cahier nous aide à devenir le savant flâneur cher à Balzac. Nous le remplissons au fur et à mesure du voyage, qui nous mène du village natal d’Estelle, perché sur une montagne, aux rives d’un océan. Nous disposons à notre guise sur ses pages blanches des photographies des lieux visités, des croquis, des pensées du personnage principal et des sons – stockés sur du papier, il est vrai, par un miracle inexpliqué.

La pression d’un bouton permet à tout moment d’ouvrir l’album protégé dans un sac en cuir et porté en bandoulière. Le remplir évoque la pratique du scrapbooking, loisir créatif qui consiste à mettre en page un album. Mais il n’est ni une façon simpliste d’occuper le joueur, ni un menu utilitaire affichant des listes de quêtes ou un inventaire : il ouvre une fenêtre sur les pensées d’Estelle. En attardant notre objectif sur certains endroits du décor, en portant notre micro à des endroits précis ou en écoutant certaines histoires, elle nous partage ses pensées.

Car le cahier recueille une partie du monologue intérieur de la protagoniste. Nous y entendons l’orpheline faire le deuil de son père en même temps que celui de la vallée, s’interroger sur le sentiment d’étrangeté suscité par la découverte d’une autre culture ou des prières à des dieux étranges (appelés Vacarme, Marée ou Néant).

Quitter cette vallée est un déchirement pour le petit Kochi, car c’est là que son père est enterré.

Angoisse apocalyptique

La production des Canadiens de Scavengers Studio trouve toutefois ses limites dans la modestie de l’univers. Ambiance de fin du monde oblige, sa population est réduite. Les personnages sont denses et hauts en couleur, mais la bienveillance absolue à l’égard de la jeune femme peut se révéler artificielle. La géographie est finalement un peu restreinte et le hors-piste n’est pas préconisé, contrairement à d’autres odes à la flânerie, comme Zelda : Breath of the Wild. Nul secret ou lieux cachés ne sont totalement dissimulés.

L’ivresse du road trip est émoussée par des itinéraires fléchés sur des sentiers bien définis. Mais, peu à peu, la simplicité du dispositif se fait oublier. Ce qui compte finalement est de donner du sens à son histoire proche d’un conte, à la quête de poésie et au réconfort apporté par les paysages lumineux ; en cela ce jeu est dans la lignée des délicats Monument Valley ou Assemble With Care, des Britanniques d’UsTwo Games.

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Cette parenthèse de douceur nous pousse enfin à méditer sur le cataclysme à venir. Bizarrement, tous les humains y sont résignés et le considèrent aussi inéluctable que le cycle des saisons. C’est d’autant plus troublant que, au loin, des échangeurs d’autoroute en ruine et des panneaux rouillés suggèrent qu’il s’agit de notre futur, dans lequel plusieurs sociétés ont eu le temps de se reconstruire, puis de disparaître. Comment ne pas perdre espoir quand autour tout s’effondre ? La réponse de Season : A Letter to the Future, s’aligne sur celle de Balzac : « Flâner c’est vivre. »

Une des forces de « Season : A Letter to the future » est la qualité de ses animations et la beauté de ses cadrages cinématographiques.

L’avis de Pixels :

On a aimé :

  • un road trip poétique qui nous invite à flâner ;
  • à partager le flux de conscience du personnage ;
  • à traverser de superbes paysages ;
  • à prier des dieux étranges.

On a moins aimé :

  • l’écriture parfois ampoulée ;
  • quand la bicyclette se plante dans le décor ;
  • le nombre limité de personnages.

C’est plutôt pour vous si :

  • peu importe le budget d’un jeu, ce qui compte pour vous c’est qu’il ait du cœur ;
  • vous aimez prendre votre temps pour regarder le paysage ;
  • vous aimez écouter des contes ;
  • et prendre des notes dans un carnet.

Ce n’est pas plutôt pour vous si :

  • vous considérez que les images de Polaroïd, les vinyles, les vélos vintage et les magnétophones à cassettes, c’est beaucoup trop « bobo » ;
  • selon vous, le scrapbooking n’est plus un passe-temps acceptable une fois dépassé l’âge de 11 ans.

La note de Pixels :

Deux illusions perdues sur trois.



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