A quoi fait référence la « majorité numérique », en débat à l’Assemblée nationale ?

A quoi fait référence la « majorité numérique », en débat à l’Assemblée nationale ?


Les députés français examinent, jeudi 2 mars, lors de la niche parlementaire du groupe Horizons et apparentés, une proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ».

Portée par le député de Corse-du-Sud et président du groupe Laurent Marcangeli, le texte vise à fixer une majorité numérique à 15 ans pour l’inscription et l’utilisation des réseaux sociaux. Il propose également de reprendre dans le droit français la définition du terme « réseau social » telle qu’établie par l’Union européenne lors de l’élaboration du Digital Markets Act (DMA), le règlement sur les marchés numériques.

Qu’est-ce que la majorité numérique ?

Aujourd’hui, la majorité numérique fait référence à l’âge à partir duquel la loi considère qu’une personne maîtrise son image et ses données personnelles, et qu’elle est en mesure de donner son accord, sans autorisation parentale, à ce que ces dernières soient utilisées par des services en lignes.

Ça n’existait pas déjà ?

Le concept de « majorité numérique » a été évoqué en 2018 lors de la mise à jour de la loi informatique et libertés de 1978 avec la loi sur la protection des données personnelles. Ce dernier texte visait à se mettre en conformité avec l’article 8 du Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui laissait la possibilité à chaque pays de fixer l’âge de cette majorité entre 13 et 16 ans.

« Le mineur de plus de 15 ans peut ainsi légalement décider seul d’accepter les cookies pour consulter un site Internet, d’opter pour un profil public ou privé sur un réseau social ou d’activer une fonctionnalité optionnelle de géolocalisation sur une application. En revanche, les textes ne reconnaissent pas une “majorité numérique globale” à 15 ans », rappelait la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans une recommandation de juin 2021.

Avec le nouveau texte de loi examiné ce jeudi, cette majorité sera requise pour s’inscrire seul à un réseau social. « En dessous de ce seuil, les plates-formes devront recueillir la preuve de l’autorisation d’au moins un des titulaires de l’autorité parentale », est il écrit dans l’exposé d’introduction à la loi.

Pourquoi le choix d’un seuil à 15 ans ?

Cet âge « faisait sens », selon le rapporteur Laurent Marcangeli. « Il correspond à l’âge déjà évoqué dans la loi informatique et libertés. Il coïncide également en France avec l’âge de la majorité sexuelle et aussi au cap du passage du collège au lycée », explique le parlementaire au Monde.

La plupart des plates-formes avaient fixé dans leurs conditions d’utilisation une limite d’âge à 13 ans, héritée d’une obligation établie par la loi américaine sur la collecte des données personnelles des mineurs (loi Coppa de 1998). Cet âge ne correspond à aucune obligation de droit en France.

Une majorité numérique, mais dans quel but ?

Le député Laurent Marcangeli avance dans son texte que, « outre l’aspect de santé publique, l’introduction de cette majorité numérique en droit français serait également une avancée concrète à même de faire reculer le cyberharcèlement entre jeunes ». L’élu, qui assure « ne pas porter un texte anti-réseaux sociaux », espère d’abord susciter un débat « à l’image de celui qu’on a eu dans le passé sur l’alcool ou le tabac ».

Interrogée par Le Monde, Divina Frau-Meigs, sociologue des médias et professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne-Nouvelle, estime qu’établir une majorité pour utiliser un réseau social « permet de mettre les plates-formes face à leurs responsabilités, elles qui se contentent jusqu’à présent de déclarer qu’elles vérifient l’âge sans avoir à le prouver ».

Le Monde

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En outre, selon la spécialiste, ce seuil « sert de repère utile » aux parents mais aussi aux jeunes utilisateurs. « En cas de transgression, cette limite permet d’amorcer un dialogue entre le mineur et ses parents, de lui indiquer qu’il prend un risque. Ce qui a une fonction pédagogique. Quand il n’y a rien, tout est permis. » En revanche, la sociologue s’inquiète de la formulation actuelle de la proposition de loi. « Que le texte évoque également la question de la lutte contre la haine en ligne, qui ne relève pas des mêmes phénomènes et des mêmes éléments de droit, peut amener de la confusion et laisser l’opportunité aux plates-formes de profiter juridiquement du doute. »

Si elle réserve son jugement à la version finale du texte, Justine Atlan, directrice générale de l’association e-enfance et du numéro d’aide 30-18, estime auprès du Monde que ce renforcement de la majorité numérique est également « intéressant, car il pose des conditions qui affranchissent des termes et usages tels que conçus, à leur guise, par les plates-formes américaines ».

Comment s’assurer que les plates-formes fassent respecter cette limite d’âge ?

Bien que pour l’heure, ce soit la limite des 13 ans qui prévale dans l’utilisation des réseaux sociaux, 58 % d’enfants de 11 et 12 ans ont au moins un compte sur un réseau social, selon une enquête de Génération numérique de 2022.

La version initiale du texte de loi ne se risque pas à suggérer par quelle technique les plates-formes devront contrôler l’âge et recueillir l’approbation des parents. « Les opérateurs de plates-formes en ligne sont tenus de faire respecter cette obligation, selon des modalités définies par décret en Conseil d’Etat », est-il écrit.

A l’occasion d’un amendement adopté en commission le 15 février, le rapporteur justifie : « L’absence de consensus à ce stade sur la meilleure solution technique de vérification de l’âge doit être prise en compte par le législateur, qui ne saurait inscrire dans la loi un système de vérification particulier, du fait de l’évolution rapide des technologies disponibles » mais souhaite confier à l’Arcom, avec le concours de la CNIL, le soin de les déterminer.

Dans le même amendement, le député propose que le manquement par un réseau social à ces obligations de vérification de l’âge et du consentement de l’autorité parentale soit puni d’une amende de 100 000 euros.



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