Action syndicale ou piratage informatique ? Quatre anciens techniciens de RTE jugés à Paris

Action syndicale ou piratage informatique ? Quatre anciens techniciens de RTE jugés à Paris


Attention, procès sous tension ! Quatre anciens techniciens du transporteur d’électricité RTE étaient jugés ce mardi 28 février pour trois infractions relatives à des faits de piratage informatique – entrave, introduction et modification d’un système de traitement automatisé de données.

A la fin juin et fin juillet 2022, en marge de deux actions syndicales menées pour demander une hausse des salaires, le transporteur d’électricité avait constaté l’arrêt de la téléconduite de 25 postes électriques dans le Nord, sur le territoire du groupement de maintenance réseau Flandres Hainaut.

« Pas de réponse de la direction »

A l’issue d’une enquête judiciaire confiée à la DGSI, quatre agents de RTE, des trentenaires depuis licenciés, ont été mis en cause. Ils faisaient partie d’une équipe de 18 agents en charge de la maintenance, de la protection et de la téléconduite du réseau électrique.

« On n’avait pas de réponse de la direction sur les négociations salariales », a justifié l’un des mis en cause à la barre. « Cette action n’était pas anodine, mais on ne pensait pas que cela prendrait cette ampleur », ajoute un autre.

Certes, la direction de RTE est déjà rompue à des pertes de téléconduite lors d’actions syndicales. « C’est un acte symbolique pratiqué depuis longtemps et toléré par l’entreprise, car réalisé dans les règles du jeu et sans impact sur la distribution d’électricité », pointe un expert cité par la défense, Jean-François Lejeune.

Enquête ouverte pour sabotage

« Quand il y a une prise en main locale, les grévistes passent un coup de fil au dispatching, mais là il était impossible d’identifier ces arrêts comme une manœuvre syndicale », rétorque la directrice juridique de RTE. En l’absence de revendication, l’entreprise est surprise par l’arrêt à distance des postes au petit matin en juin et juillet. Ce qui la conduit à signaler à la justice une intrusion informatique.

Résultat : le dossier judiciaire vise au départ la qualification de sabotage informatique, une charge très lourde, depuis abandonnée. C’est le seul crime cyber qui existe en France – les autres infractions cyber étant qualifiées de délits.

C’était « une hypothèse haute de travail », justifiée eu égard de la sensibilité de l’organisation victime, un opérateur d’importance vitale, explique à l’audience Sophie Gschwind, substitut du procureur, qui a requis finalement des peines de six à huit mois d’emprisonnement avec sursis et des amendes de 7 000 euros.

Groupe Signal et formule Excel

« On sait depuis le début que les quatre anciens agents de RTE ne peuvent pas être qualifiés de saboteurs », fulmine en face Jérôme Karsenti, l’avocat de l’un des prévenus. « C’est l’esprit du temps, comment pénaliser toute forme de mobilisation sociale », ajoute-t-il. Cette crainte d’une criminalisation du droit de grève était d’ailleurs partagée par la CGT, des militants de l’organisation syndicale ayant manifesté en soutien devant le palais de justice de Paris.

Comme le montrera plus tard l’enquête, les quatre agents avaient en fait programmé à l’avance l’arrêt de la téléconduite. Après s’être branchés sur les postes électriques, ils avaient entré la commande système « Shut down » assortie d’un nombre. Soit autant de secondes avant son arrêt. Pour calculer le temps nécessaire à programmer pour que les postes s’arrêtent tous en même temps, l’un des mis en cause avait partagé une formule Excel.

Les quatre hommes s’étaient enfin concertés en créant quelques semaines plus tôt un groupe sur la messagerie Signal, supprimé de leurs téléphones avant leurs auditions par le service de police.

Débat sur le risque

Des arrêts de la téléconduite des postes électriques qui se traduisaient pour la direction parisienne par une perte de visibilité et de pilotage sur cette petite partie du réseau, obligeant l’entreprise à dépêcher sur place des techniciens. Mais « il n’y a pas eu de coupure électrique et les téléconduites ont été rapidement rétablies », assure l’expert Jean-François Lejeune.

Au contraire, pour des ingénieurs de RTE cités par l’entreprise, les arrêts ont entraîné un risque de coupure d’électricité et la création d’un effet domino qui aurait pu bloquer la distribution d’électricité vers l’Angleterre ou la Belgique. Le jugement a été mis en délibéré.





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