Illustration: le musicien Gilberto Gil, alors ministre de la Culture, et Lula, alors président de la République du Brésil, en 2007. Photo Wilson Dias / Wikimedia Commons / CC by
C’est un géant de la musique brésilienne, guitariste, chanteur et compositeur, qui passa plusieurs mois en prison dans les années 1960 sous la junte militaire, pour «activités anti-gouvernementales» (ses chansons étaient jugées subversives par la dictature). Gilberto Gil a été ministre de la Culture de 2003 à 2008, sous la présidence de Lula. Ce 26 juin, il a 80 ans, et c’est l’occasion de me rappeler l’avoir vu à Porto Alegre le 29 janvier 2005: tous les ans à cette époque s’y déroulait le Forum social mondial, grand rendez-vous d’altermondialistes du monde entier.
« Windows doesn’t dance! »
Ces derniers soutenaient le Libre, tout comme le gouvernement brésilien d’alors (ce qui suscita un conflit avec Microsoft), et les équipements informatiques du Forum en témoignaient (ordinateurs sous GNU/Linux, bureautique OpenOffice, Mozilla pour la navigation internet, Gimp pour le traitement et la retouche d’images).
Plusieurs ateliers et conférences portaient sur les logiciels libres, dont une, qui réunit un bon millier de participants dont votre serviteur, comptait parmi ses intervenants le sociologue Manuel Castells, le juriste Lawrence Lessig, l’auteur des licences Creative Commons, un vétéran du militantisme new age, John Perry Barlow (mort en février 2018, à 70 ans), cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, poète, auteur de la «Déclaration d’indépendance du cyberespace».
Je me souviens des acclamations que recueillit sa formule «Windows doesn’t dance!», dans une ambiance de concert rock. Mais la superstar de cette conférence fut évidemment Gilberto Gil. Voici l’article que j’envoyais du Brésil à ZDNet (l’original est encore en ligne là) – avec toute ma gratitude à Archive.org pour les liens disparus mais sauvegardés en copie.
Forum social mondial: les altermondialistes célèbrent le logiciel libre
Société : Un Forum équipé en logiciels ouverts, un ministre de la Culture qui vante la révolution du « libre » et les licences Creative Commons… Pour les militants de Porto Alegre, le manchot de Linus Torvalds est devenu un symbole de l’économie solidaire.
Par Thierry Noisette, correspondance spéciale | Lundi 31 janvier 2005
PORTO ALEGRE (Brésil) – Ce n’est pas une surprise, le Brésil et les altermondialistes adhèrent au principe et à la philosophie du «logiciel libre». En témoignent les débats politiques sur ce thème, comme les équipements informatiques déployés, à l’occasion de ce cinquième Forum social mondial (FSM), qui s’achève ce lundi.
En termes d’équipements, les 700 ordinateurs disposés à travers l’immense Forum (onze espaces thématiques déployés sur des kilomètres, le long du fleuve Guaiba), sont tous exclusivement sous logiciels libres. Système d’exploitation Linux, bureautique OpenOffice, Mozilla pour la navigation internet, Gimp pour le traitement et la retouche d’images… Les 120 ordinateurs de la salle de presse ne faisaient pas exception (environ 5.000 journalistes accrédités). La connexion internet, à haut débit et par fibre optique, a subi quelques coupures de réseau, heureusement très sporadiques. La ville a investi massivement et l’équipement restera en place définitivement.
Les débats étaient au diapason de cette débauche de moyens. Le Brésil, surtout depuis l’élection de son président Lula en octobre 2002, est particulièrement en pointe pour promouvoir les logiciels libres. Témoin, le zèle avec lequel le fondateur de Microsoft, Bill Gates a cherché, dix jours avant, à obtenir une audience officielle avec le président brésilien lors de l' »autre Forum », celui de Davos. Gates et Lula se sont bien exprimés ensemble lors d’une table ronde, mais ils n’ont pas eu, à proprement parlé, d’entretien en tête à tête.
A Porto Alegre, parmi les débats et les ateliers organisés, une vingtaine étaient liés au sujet, tels que « Economie solidaire et logiciel libre, deux faces d’une autre économie », ainsi que deux réunions autour de la « révolution numérique » qui leur étaient entièrement dédiées.
Lors de la première, vendredi dernier, était attendue l’intervention de Sergio Amadeu da Silveira, président de l’Institut national des technologies de l’information, un organe officiel qui a en charge la migration de l’informatique de l’administration fédérale vers les logiciels libres. Il y a un an, c’est lui qui avait vertement apostrophé Microsoft, en comparant la multinationale à un dealer de drogue qui offre gratuitement accès à Windows pour mieux rendre accros les jeunes utilisateurs. L’éditeur américain avait porté plainte en diffamation, avant de se rétracter… «N’utilisez pas de logiciels illégaux, utilisez des logiciels libres et répandez-les!», a-t-il scandé cette année. «Le logiciel libre, c’est un logiciel de partage. Et le logiciel, c’est comme le savoir, il peut être copié et répandu sans appauvrir celui qui le fait.»
Moins de 10% des Brésiliens ont accès à un ordinateur
De son côté, le Brésilien Marcelo Branco (du Projet Software Livre) a mis l’accent sur la démocratisation de l’accès à l’internet dans le pays: aujourd’hui moins de 10% des habitants ont accès à un ordinateur, avec les logiciels libres cela contribuera à combler le fossé plus rapidement. Diego Saravia, de l’ONG Hipatia, a même lancé avec lyrisme: «Un autre monde est possible, et les logiciels libres sont des outils pour ce monde…» Georg Greve, venu en tant que président de la Free Software Foundation Europe, a salué les travaux concrets réalisés au Brésil en faveur des plus défavorisés. Comme l’illustre avec vigueur le projet « Telecentros » à Sao Paulo, qui consiste à équiper les fameuses favelas (les bidonvilles), de centres multimédias ouverts à tous.
Si seulement une centaine de personnes assistaient à cette première réunion, elles étaient un bon millier le lendemain samedi pour une seconde rencontre avec d’autres VIP d’envergure internationale. Étaient présents le sociologue Manuel Castells, le juriste Lawrence Lessig (qui en a fait part sur son blog), mais aussi l’un des vétérans du militantisme new age, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation (sa formule «Windows doesn’t dance!» a fait un triomphe…).
À leurs côtés, Gilberto Gil, monstre sacré de la musique brésilienne et actuel ministre de la Culture. Espérant voir fleurir des «révolutions françaises du 21e siècle» dans le logiciel et le commerce, le ministre-musicien a promis un soutien accru aux logiciels libres et aux licences « Creative Commons » (dont Lessig en a été l’un des plus fervents promoteurs). Dans son élan, Gil a même lancé: «Je suis un ministre, je suis un musicien, mais avant tout je suis un hacker».
Cette semaine-là, aucun doute, Bill Gates a bien fait de préférer Davos à Porto Alegre.
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