Comment « sortir l’Europe de sa naïveté technologique et industrielle » ? Emmanuel Macron livre sa feuille de route sur le numérique

Drapeau Europe UE


Emmanuel Macron a prononcé un discours pendant près de deux heures sur sa vision de l’Europe, sur fonds de campagne pour les élections européennes : l’occasion d’aborder, à maintes reprises, le sujet du numérique. Le chef de l’État y défend l’idée d’imposer davantage de modération aux plateformes, d’instituer une majorité numérique à 15 ans face à la « jungle » des réseaux sociaux, de mettre en place une capacité européenne de cybersécurité et de cyberdéfense… tout en taclant une surréglementation européenne.

Majorité numérique à 15 ans, jungle des réseaux sociaux, souveraineté européenne… Jeudi 25 avril en fin de matinée, Emmanuel Macron prononçait pendant près de deux heures un discours sur l’Europe à la Sorbonne, avec un double objectif. La campagne de Valérie Hayer, la tête de liste de Renew soutenue par le parti présidentiel, peine à décoller. Et le chef de l’État compte bien, d’une façon ou d’une autre, influer sur l’agenda des futurs colégislateurs européens, en particulier sur le numérique, évoqué à plusieurs reprises pendant son discours – un acte deux après celui prononcé en 2017 dans la même université.

Ces dernières années, a-t-il débuté, « l’Europe a commencé à sortir de cette naïveté (…) technologique et industrielle ». Et si le Vieux continent a pris la voie d’une « autonomie stratégique », « en jetant les premières bases d’une souveraineté technologique et industrielle », « nous ne sommes (aujourd’hui) qu’à mi-chemin », a-t-il indiqué.

Ni le modèle chinois, ni le modèle américain, mais une troisième voie

D’abord parce que « nul ne saurait ignorer que nos vies aujourd’hui se passent dans l’espace numérique (…) », a-t-il déclaré. « Et celui-ci, nous Européens, nous n’en avons pas le contrôle. Dans cet espace-là, nous ne produisons pas assez de contenus. Mais nous n’en déterminons même plus les règles ». Aujourd’hui, « les enfants passent des heures devant des écrans, les adolescents s’ouvrent à la culture, à la vie intime, à la vie affective par ces écrans et les contenus auxquels ils peuvent être exposés ». « Le débat démocratique se structure dans cet espace-là (…) Est-ce que nous sommes sérieux, nous Européens, de le déléguer à d’autres ? », questionne-t-il.

« Ce n’est pas un sujet technique, ce n’est pas un sujet de politique publique. La capacité à créer un ordre public, démocratique, numérique, est une question de survie pour nous ». Emmanuel Macron propose une troisième voie, qui n’est ni le « modèle anglo-saxon, qui est celui qui choisit de déléguer cet espace de vie à des choix privés », « ces grandes entreprises qui ont des réseaux sociaux », ni le modèle chinois ou d’autres puissances autoritaires, « qui est le choix du contrôle ». Il s’agit d’« un modèle humaniste, qui crée un ordre démocratique, c’est-à-dire transparent, loyal, où nous débattons des règles et où nous les choisissons », avance-t-il, sans donner plus de détails.

Une majorité numérique à 15 ans face à la jungle des plateformes

Le chef de l’État souhaite qu’une « majorité numérique à 15 ans » soit instituée au niveau européen, comme la loi pour sécuriser l’espace numérique (SREN) l’a fait en France. Son décret d’application n’a cependant pas été publié, et on s’interroge toujours sur ses modalités pratiques.

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« Est-ce que quelqu’un envoie son enfant dans la jungle, à 5 ans, 10 ans, 12 ans ? Aujourd’hui, plusieurs heures par jour, on ouvre la porte de la jungle », au risque de voir son enfant en proie au cyberharcèlement, aux contenus pornographiques, et à la pédocriminalité, s’alarme-t-il. « Cet espace (…) n’est pas régulé.  Voulez-vous que je vous dise combien chacune de ces plateformes, de ces réseaux, a de modérateurs en langue française ? Même pas une dizaine pour certains », déplore-t-il.

Le président souhaite que l’Europe impose « aux plateformes la modération, la fermeture de certains sites ». Il s’agirait de « “reciviliser” cet espace numérique. Là où nous interdisons les propos racistes, les propos antisémites, les discours de haine, nous devons avec la même force les interdire dans l’espace numérique où la présomption d’anonymat conduit à la désinhibition de la haine. C’est un combat civilisationnel et démocratique », à mener au niveau de l’Europe, ajoute-t-il.

Une capacité européenne de cybersécurité et de cyberdéfense à développer

Car « notre Europe, aujourd’hui, est mortelle. Elle peut mourir, et cela dépend uniquement de nos choix, qui sont à faire maintenant ». « Les grandes transformations, celles de la transition digitale, celles de l’intelligence artificielle, celle de l’environnement et de la décarbonation se jouent maintenant », martèle-t-il. Pour le président, l’Union européenne doit développer « une capacité de cybersécurité et de cyberdéfense » commune. Il faut d’ailleurs « construire une véritable industrie de la défense européenne », avec « une préférence européenne dans l’achat de matériel militaire », plaide-t-il.

Haro sur la surréglementation

Emmanuel Macron en a profité, comme il l’avait déjà fait, pour critiquer ce qu’il appelle une « surréglementation » en référence aux derniers (nombreux) règlements européens qui ont été adoptés ces dernières années (DSA, DMA, AI Act…) – des lois qui comme le DSA (Digital Services Act, ou règlement européen sur les services numériques) impose aux réseaux sociaux des obligations de modération des contenus que le président appelle de ses vœux. « Nous avons bâti des réglementations utiles qui donnaient des jalons, des repères, des capes. Mais nous avons aussi, parfois, été beaucoup trop dans le détail, empêchant aussi les acteurs économiques de se projeter dans le temps long et créant des désavantages compétitifs pour nos acteurs par rapport à leurs concurrents internationaux », avance-t-il.

Plus d’investissements dans cinq secteurs clés

Il faut aussi davantage investir dans les secteurs clés, a plaidé le chef de l’État : « Aujourd’hui en Europe, nous avons un mur d’investissement. (…) Tout le monde dit, c’est entre 650 et 1 000 milliards par an de plus. C’est beaucoup. (..) On ne peut pas remettre à demain ces investissements parce que c’est maintenant qu’ils doivent se faire », a insisté Emmanuel Macron.

Pour « faire de l’Europe un leader mondial d’ici 2030 », il faut se concentrer sur « cinq secteurs parmi les plus émergents et les plus stratégiques », liste-t-il : « l’intelligence artificielle, en investissant massivement sur les talents mais aussi les capacités de calcul. On a 3 % des capacités de calcul mondiales. C’est un objectif de rattrapage, mais il nous faut d’ici 2030-2035 passer à au moins 20 % ». Viennent ensuite « l’informatique quantique, l’espace, où il nous faut consolider Ariane 6 (…). C’est la condition d’un accès européen à l’espace. Les biotechnologies, évidemment, et les nouvelles énergies (hydrogène, réacteurs modulaires et fusions nucléaires) ».

Face aux surinvestissements américains et chinois, nos instruments sont inefficaces, estime Emmanuel Macron

Pour ce faire, l’UE « doit se doter de stratégies de financement dédiées » et « avoir les bons instruments ». Et si nous avons aujourd’hui les projets importants d’intérêt européen communs, les PIEC, face au  « post-Inflation Reduction Act (le plan de Joe Biden pour le climat, qui subventionne massivement l’industrie américaine, NDLR) et au surinvestissement chinois, nos instruments ne sont pas assez rapides, efficaces, visibles. Mais nous devons aussi assumer des règles différentes pour la politique industrielle et la politique de concurrence, en insérant dans nos traités la préférence européenne dans les secteurs stratégiques », plaide-t-il.

Exactement comme l’ont fait nos concurrents : la Chine et les États-Unis, ajoute-t-il. « J’ai vu beaucoup de start-up américaines (…)  être massivement subventionnées par une politique institutionnelle américaine. Faisons la même chose, nous sommes en compétition », a-t-il poursuivi, à destination de ses homologues européens. Reste à savoir si cette feuille de route et ces grands principes convaincront les prochains parlementaires et commissaires européens.

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