Attachez votre ceinture, faisons demi-tour trente ans en arrière. Le 27 août 1992, Nintendo sort Super Mario Kart au Japon et ce jeu de course fantaisiste, proposant des circuits colorés bourrés d’obstacles et de bonus, devient vite, avec 8,7 millions de cartouches vendues, l’un des plus gros succès commerciaux de la Super Nintendo. Un démarrage en trombe sur la console 16-bits qui laisse alors présager la réussite commerciale de la franchise, dont les quinze épisodes officiels se sont écoulés à près de 168 millions d’exemplaires.
Mais l’impact de Super Mario Kart sur la scène vidéoludique ne se mesure pas seulement par des records commerciaux, il se jauge aussi au nombre de ses héritiers. Apparaissent ainsi dans son rétroviseur une foule de rejetons sortis d’autres écuries. Qu’ils soient réussis (Diddy Kong Racing, Crash Team Racing, Sonic & Sega All-Stars Racing) ou affligeants (M & M’s Kart Racing, South Park Rally), affichant un nom connu (Muppet Race Mania, Pac-Man Kart Rally) ou qu’ils aient été conçus par des fans (Sonic Robo Blast 2 Kart), etc., impossible de les citer tous, chaque année apportant son lot de nouveaux concurrents. Le cru 2022 ne déroge d’ailleurs pas à la règle : Chocobo GP (tiré de Final Fantasy) s’est aligné sur la piste de départ en mars et doit, bientôt, être rejoint par Disney Speedstorm et Schtroumpfs Kart.
« C’est un compliment d’être comparé à une série aussi appréciée », glisse Steve Lycett, qui a réalisé Sonic & All-Stars Racing (2010) pour Sumo Digital. « Mais nous voulons aussi que l’on se souvienne de nous et offrir un peu de compétition… Les jeux sont encore meilleurs quand il y a de la rivalité », ajoute malicieusement l’Anglais. Mais la franchise Mario Kart a-t-elle jamais réellement eu du souci à se faire ?
Imité dès le début
Dès ses premières années, Super Mario Kart fait des émules. A sa sortie, le développeur Andy Edwardson confie au Monde avoir été fasciné par ses graphismes qui imitent la 3D :
« Je voulais être capable de faire un jeu comme celui-là. Beaucoup de développeurs me disaient que ce n’était pas possible sur PC, que les machines n’étaient pas assez puissantes. Cela ne m’a, pourtant, pas bloqué. »
A la manière d’un fan qui réinterprète son tube préféré, le Britannique travaille durant près d’un an au sein du studio Beavis Soft pour concevoir Wacky Wheels (1994), qui met en scène des animaux de zoo et utilise des hérissons comme projectiles. Edité par Apogee Software (Wolfenstein 3D, Duke Nukem), il est, à l’époque, considéré par les joueurs PC comme le meilleur jeu rivalisant avec Super Mario Kart.
Lorsque sort la même année Street Racer, son créateur Mevlüt Dinç se souvient qu’« être comparé à Mario Kart était tout simplement génial ». Les imitateurs sont alors rares et le détournement du concept attire l’attention du public. Le parallèle fait entre son propre jeu et Mario Kart est d’autant moins embarrassant pour ce game designer turco-britannique que Street Racer prend le contre-pied de l’ambiance bon enfant du titre de Nintendo : inspiré par le jeu de combat Street Fighter II (1991) et le catch américain, il y est possible de frapper les adversaires avec une batte de baseball ou un fouet.
« A première vue, on peut rapprocher Street Racer de Super Mario Kart. Sauf que cette impression se dissipe lorsque l’on se penche sur ses différents modes. On peut y faire des bagarres dans des arènes et même du football à bord d’un véhicule. Finalement, ça n’a rien à voir », relève celui qui a enfanté le sale gosse de la famille des jeux de kart.
« Diddy Kong Racing » dans la roue du plombier
Durant les premières années, le genre se divise donc en deux catégories : ceux de la licence originale de Nintendo, d’un côté, et ceux qui s’en inspirent, parfois de façon très maladroite, de l’autre. Les franches déceptions se multiplient à partir de la fin des années 1990. Mega Man Battle & Chase (1997), Bomberman Fantasy Race (1998), Chocobo Racing (1999), Speed Freaks (1999) puis l’approximatif South Park Rally (2000)… autant de reprises simplistes et oubliables d’une recette qui a le vent en poupe, si bien que le terme de « clone » s’impose dans la presse pour les désigner.
Mais, à la même époque, l’entrée en piste de Diddy Kong Racing (1997) sur la Nintendo 64 change la donne. Incluant des personnages de la firme japonaise, développé par les Américains de Rare (Donkey Kong Country, GoldenEye 007), il complexifie le concept pour se démarquer. La première idée de ses créateurs est d’élargir les perspectives. « Nous voulions de très grands mondes en 3D à explorer, comme dans [le jeu de plate-forme] Super Mario 64 », détaille au Monde Lee Schuneman, son réalisateur. « Comme il fallait nous différencier, nous avons cherché à apporter des trucs en plus. Nous est venue l’idée de piloter un avion et un hovercraft », évoque le Gallois.
Prenant le risque de déstabiliser les joueurs par son exploration de la verticalité ou des circuits sans tracés circonscrits, il fait passer Mario Kart 64 pour un élève un peu sage. De quoi faire école à court terme auprès de Crash Team Racing (1999) – durant le développement, le studio Naughty Dog (Crash Bandicoot) a même reproduit un des circuits de Diddy Kong Racing pour tester la puissance de la PlayStation – ou, à plus long terme, chez Mario Kart 7 (2011), qui introduit des zones sous-marines ou aériennes dans la franchise.
La seconde idée de Rare avec Diddy Kong Racing est de récompenser les joueurs experts, ce qui diverge de la philosophie familiale chère à Nintendo. « L’équipe était composée d’excellents joueurs et nous pensions que le public devait aussi l’être », raconte Lee Schuneman. Le jeune homme (27 ans à l’époque) replace donc la dextérité au centre de l’expérience multijoueur, rendant impossible d’y renverser le cours des parties en quelques secondes grâce à un bonus surpuissant, contrairement à Mario Kart.
Acclamé par la critique – certains l’ont même préféré à Mario Kart 64 –, Diddy Kong Racing se vend à presque cinq millions d’exemplaires et installe une nouvelle ligne de démarcation au sein du jeu de kart : d’un côté, ceux qui misent sur la technique pour satisfaire sur la durée les joueurs assidus, de l’autre, ceux aux courses plus imprévisibles, dans lequel un novice peut espérer voler la vedette à quelqu’un d’aguerri.
Le syndrome de la carapace bleue
Cette distinction concernant la valeur accordée aux capacités de pilotage est toujours valable, rappelle Steve Lycett, réalisateur de Sonic & Sega All-Star Racing. « Cela peut paraître controversé, mais nous ne voyons pas Mario Kart comme un jeu de course. Il s’agit plus d’un jeu avec des armes dans lequel la conduite est secondaire. Au contraire, nous nous voyons comme un jeu de course qui propose des armes, mais la conduite est plus importante pour réussir », analyse celui qui est, désormais, responsable des franchises chez Sumo Digital, qui a produit deux suites au titre. Ses influences lorgnent aussi vers des séries de jeux d’arcade emblématiques de Sega, comme OutRun (1986) ou Virtua Racing (1992).
Le prochain Disney Speedstorm tire également parti de l’expérience en course automobile du studio barcelonais de Gameloft sur Asphalt 9, avance Antoine Cabrol, son principal game designer. Le jeu, dont la sortie est prévue à la fin de 2022, a beau mettre en scène Mulan ou Mickey, il revendique une véritable « complexité ». La feuille de route est plus proche de l’esprit de Diddy Kong Racing que de Mario Kart, et Antoine Cabrol prend pour exemple les bonus d’accélération, généralement glanés sur la piste. Ici, ils sont remplacés par une jauge qu’il est possible d’utiliser à sa guise : « Ainsi, nous laissons les joueurs libres de l’employer au moment adéquat, par exemple, pour prendre des raccourcis. Ils doivent bien prévoir leur stratégie de course et adopter les comportements les mieux adaptés à chaque personnage. »
Tout le contraire de Schtroumpfs Kart, qui doit aussi sortir d’ici à la fin de l’année et cible les plus jeunes. « Durant les tests, on se rend compte que les enfants sont très ouverts aux rebondissements et aux retournements de situation, alors que les joueurs les plus hardcore [assidus] vont être vite frustrés », explique Benjamin Ledoux, game designer chez d’Eden Games, studio de développement lyonnais derrière le jeu. Il convoque ainsi un éternel débat pour les amateurs :
« C’est l’enjeu de la carapace bleue [qui vise le leader de la course dans Mario Kart]. Certains la détestent, car elle change régulièrement la physionomie des parties. Alors que, pour moi, c’est vraiment ce qui est le plus amusant. »
Pourquoi reprendre cette formule en 2022, finalement très proche de celle du grand frère Mario Kart, alors que sa dernière mouture, Mario Kart 8 Deluxe, a battu tous les records de la série avec presque 47 millions d’exemplaires vendus ? « On ne va pas le laisser tout seul… Peut-être qu’on en a un peu marre de jouer des plombiers ou des champignons », répond Yannick Geffroy, producteur en chef de Schtroumpfs Kart, mettant en avant une vision du genre inspirée de la bande dessinée franco-belge.
Même s’il reste sur la première marche du podium, trente ans après ses premiers tours de piste, le plombier moustachu est donc loin de se retrouver un jour tout seul sur le circuit.