« Depuis ses débuts, l’Europe est ouvertement hostile à l’émergence de champions »

« Depuis ses débuts, l’Europe est ouvertement hostile à l’émergence de champions »


Elie Cohen, économiste, directeur de recherche au CNRS et grand analyste et historien de la politique industrielle française, a publié, en 2022, Souveraineté industrielle. Vers un nouveau modèle productif (Odile Jacob, 240 pages, 22,90 euros). Il explique pourquoi l’Europe n’est pas près de faire émerger un champion européen du numérique.

La souveraineté numérique est-elle à la portée de l’Europe ?

On en parle depuis très longtemps, d’abord pour l’informatique puis pour les télécoms, enfin pour les composants. En fait, le débat sur la souveraineté technologique – et, surtout, la question des moyens de ne pas subir les grandes transformations lancées ailleurs – hante l’Europe depuis très longtemps. Elle a tenté plusieurs approches. Les projets Eureka se sont révélés trop colbertistes pour une Europe dont l’ADN est la libéralisation. Pour adopter une politique industrielle européenne, il aurait fallu enfreindre les règles du marché ; l’Europe a préféré démanteler les barrières nationales et les modèles nationaux intégrés. Elle a alors décidé d’être moins ambitieuse et s’est donné pour objectif de devenir la puissance championne de l’économie de la connaissance : c’est l’agenda de Lisbonne et… un nouvel échec.

Entrée dans le troisième âge de la politique industrielle européenne, l’Europe explore deux pistes : elle tente de pousser plus loin l’intégration pour susciter des coopérations – c’est ce que font les projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), dans les batteries, les hydrolyseurs, les semi-conducteurs, etc. – et, en tant que première puissance de consommation mondiale, elle veut façonner le paysage numérique grâce à son pouvoir réglementaire et à sa capacité de régulation. C’est ce qu’elle fait avec le règlement général sur la protection des données, le Digital Markets Act, le Digital Services Act, etc.

Le pouvoir réglementaire et normatif peut-il apporter la souveraineté ?

L’Europe a abandonné aux Etats-Unis sa souveraineté industrielle sur le matériel, et aux Gafam et à des entreprises essentiellement américaines celle sur les plates-formes, les logiciels et les services. Elle n’adoptera pas une stratégie volontariste semblable à celle que la Chine a mise en place pour contrer les Gafam ou pour devenir leader mondial de la 5G. L’usage intelligent de la norme doit être appuyé par un pouvoir industriel, par une commande publique, par des investissements et par un contrôle du marché. Alors, être une puissance normative permettra-t-il à l’Europe de construire une puissance industrielle et technologique ? La réponse est non ! A fortiori si l’on ajoute la lenteur de ses processus décisionnels, les querelles internes franco-allemandes, la réticence à faire émerger des champions européens… J’avoue avoir été séduit par les Piiec et par la politique d’innovation, mais les ordres de grandeur ne sont pas là, il faudrait un facteur 10 !

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