Des hippies aux Gafam, de l’open source à l’IA, une histoire d’Internet

Des hippies aux Gafam, de l'open source à l'IA, une histoire d'Internet


Couverture du livre « Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet », éditions Odile Jacob

L’été, c’est la période où, vacances et (relative…) déconnexion aidant, on peut délaisser un peu les écrans pour revenir à ce trésor, les livres («Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux»: merveilleuse phrase de Jules Renard). Pour vos lectures d’été, et d’après, je vous recommande «Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet», de Gilles Babinet (éditions Odile Jacob).

La saga des créateurs du numérique

Parenthèse avant de commencer: présentant son sixième livre il y a quelque temps devant quelques happy few, dont votre serviteur, l’auteur a précisé que son titre initial mentionnait «la science-fiction», devenue «la science» à la demande de son éditeur. Le fan de SF que je suis le regrette un brin, mais on note de toute façon des mentions dans le livre à cette littérature fabuleuse (qui a entre autres des origines bien françaises avec le «merveilleux-scientifique»). Pour les auteurs de SF, note l’essayiste, « il faut envisager des dispositifs qui sortent de la science connue et qui ne soient pas totalement invraisemblables non plus ».

Entrepreneur, « digital champion » de la France à l’Union européenne, puis (re)président du CNNUm (Conseil national du numérique) depuis 2021, Gilles Babinet présente les grands créateurs qui ont marqué le développement de la Toile, comme Tim Berners-Lee, Satoshi Nakamoto et d’autres. Sur la couverture de cet essai, trois photos: celles de Vint Cerf, Richard Stallman et Steve Jobs. L’initiateur du mouvement du logiciel libre est ainsi en bonne place, et dans le chapitre 3 du livre, «L’ère de la micro-informatique», une section titrée «L’open source» dresse deux portraits: « Richard Stallman, le militant» et «Linus Torvalds, le pragmatique».

Le livre mentionne bien sûr la célèbre anecdote de l’imprimante en panne qui amena Stallman à prendre conscience que «l’ère des informaticiens qui partageaient librement leurs codes sous forme de bandes magnétiques enregistrées était en train de s’évanouir» – mais cette affaire, «si elle est exacte, n’est que la goutte qui fit déborder le vase». Gilles Babinet précise en note: «Est ici volontairement employé le terme « logiciel libre » plutôt qu’open source. Car pour Richard Stallman: « L’open source est une méthodologie de développement ; le logiciel libre est un mouvement de société. »»

Gilles Babinet rapporte aussi le refus de Stallman de participer aux manifestations contre la guerre du Vietnam ou au concours Putman, qui aurait «pu révéler son génie en mathématiques». Testé par des amis, l’informaticien y aurait pourtant obtenu des résultats record. L’itinéraire de Stallman, recruté au MIT, qui voit ses collègues partir les uns après les autres, suit: «Les deux entreprises qui occupaient alors le terrain de jeu étaient Microsoft et Apple, qui chacune conservait jalousement le code source de son système d’exploitation.» Et c’est alors la tentative solitaire de rédiger un système d’exploitation libre, GNU alias «GNU’s not Unix»: «Stallman ne le savait pas encore, mais son initiative presque désespérée allait envahir le monde et fonder l’esprit ainsi que les principales règles de l’open source.»

Le sous-chapitre suivant, sur Linus Torvalds, rappelle l’énorme succès qu’a connu GNU/Linux (qu’on appelle généralement – y compris ici, avouons-le – par commodité Linux tout court). «Linux a aussi participé à l’essor du mouvement open source dont il est devenu l’un des socles d’une large communauté aux convictions quasiment politiques, si ce n’est messianiques.»

La donnée, devenue primordiale

Où en est ce mouvement? Gilles Babinet observe le changement des enjeux: «Aujourd’hui, l’open source est un phénomène de masse, dont les vertus ne sont plus contestées; mais l’enjeu de domination s’est largement déplacé. Ce n’est plus le code qui cristallise la création de valeur, mais bien la donnée. L’objectif pour les entreprises numériques est donc d’avoir la capacité d’en collecter le plus possible. À ce jeu, plus efficaces seront leurs logiciels, plus importante sera la collecte. Il en va ainsi des applications mues par l’intelligence artificielle, et c’est pourquoi une vaste quantité des innovations logicielles récentes est aujourd’hui partagée avec des licences permissives. Les grandes entreprises numériques sont même devenues d’importantes contributrices de l’open source lié à l’intelligence artificielle, ce qui sert là leur intérêt bien compris.»

Le livre porte sur de nombreux autres points autour du Net et de ce qu’il charrie, de ses premiers pas à l’avenir (le récit d’une soirée à Lisbonne avec des personnes menant en majorité des modes de vie «alternatifs» laisse à méditer), sans techno-solutionnisme. Une lecture des plus instructives.

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