En soixante ans, Spider-Man a su maintenir sa toile

En soixante ans, Spider-Man a su maintenir sa toile


Il est l’incarnation par excellence du super-héros adolescent dans le panthéon Marvel. Pourtant, Spider-Man célèbre le 10 août ses 60 ans, date à laquelle, en 1962, il a fait sa première apparition dans le numéro 15 du comics Amazing Fantasy volume 1. Peter Parker, premier à revêtir le costume de l’homme-araignée, n’est cependant pas resté un éternel ado. Au fil du temps, on l’a vu grandir, se marier et avoir des enfants et, même, mourir. Reste que le succès du « tisseur » est irrémédiablement lié aux affres de la jeunesse.

C’est le dessinateur Jack Kirby qui aurait proposé le concept d’un homme-araignée à Marvel, notamment après sa collaboration avec le scénariste Joe Simon sur The Fly, chez Archie Comics, l’histoire d’un enfant capable de se transformer en mouche. Au début des années 1960, « Marvel connaît des difficultés financières et souhaite créer de nouveaux personnages pour se relancer », explique Lolita Graziosi-Broissiat, docteure en sociologie après une thèse sur L’Evolution et l’impact sociologique des super-héros de 1938 à 2020. La proposition plaît à Stan Lee, rédacteur en chef de Marvel.

« Elle sera confiée à Steve Ditko, scénariste, dessinateur et encreur. Ce dernier refaçonnera Spider-Man pour éviter qu’il ressemble à The Fly. Il en fera un personnage qui lui ressemble, aussi bien physiquement que mentalement, explique Mme Graziosi-Broissiat. De son côté, Jack Kirby se charge « de la première de couverture en se fondant sur le travail de Ditko et c’est ensuite Stan Goldberg, encreur, dessinateur et coloriste qui ajoutera la couleur et la dynamique qu’on connaît aujourd’hui ». Spiderman est né. Il ne deviendra qu’un peu plus tard Spider-Man, avec un trait d’union, pour éviter d’être confondu avec un fameux personnage de l’éditeur concurrent DC Comics, Superman.

Une popularité rapide

Sous le costume de ce premier Spider-Man, il y a Peter Parker, jeune New-Yorkais du Queens, qui développe des superpouvoirs après avoir été mordu par une araignée radioactive. Orphelin, il est élevé dans un milieu modeste par sa tante May et son oncle Ben. Dès lors, le lycéen devenu super-héros n’aura de cesse de protéger son identité secrète.

Rapidement, Peter Parker finit par « avoir autant de popularité que les Quatre Fantastiques », d’après la spécialiste. Un an après sa naissance, après avoir partagé la vedette du fascicule Amazing Fantasy, il a droit à son propre comics, baptisé The Amazing Spider-Man. Pour le journaliste spécialiste en bande dessinée et en super-héros Xavier Fournier, « le décollage du personnage intervient avec la sortie en 1967 de la série télé d’animation » sur la chaîne américaine ABC. En France, le journaliste rappelle que les premières planches de Spider-Man seront dévoilées dans les anthologies Trésors de la BD, en 1967. Mais les jeunes téléspectateurs et lecteurs de l’Hexagone s’éprennent véritablement de « Spidey » à partir de 1977, avec le magazine Télé-Junior, la revue Strange et la diffusion, avec dix ans de retard, du dessin animé sur TF1.

Un succès qui ne se démentira pas au fil des nombreuses (mais pas toujours réussies) adaptations sur petit et grand écrans, qu’il s’agisse de dessins animés, de films ou de jeux vidéo. Dès les années 1970, Stan Lee s’emploie à transposer ses héros à Hollywood et dans le monde entier. S’il ne réussira pas à conclure tous ses projets, comme celui de faire réaliser un film, Spider-Man, par Alain Resnais, l’homme-araignée aura droit, au Japon, à son propre manga dessiné par Ryoichi Ikegami (Crying Freeman) en 1970 et, huit ans plus tard (bien avant Bioman), à sa série d’effets spéciaux (tokusatsu, en japonais) produite par Toei Animation.

Au début des années 2000, on prête même à la trilogie des Spider-Man de Sam Raimi le mérite d’avoir relancé, presque à elle seule, les films de super-héros, aujourd’hui aussi pléthoriques que lucratifs. « Le genre s’était éteint après le Batman et Robin [de Joel Schumacher, 1997] avec George Clooney, resitue Xavier Fournier. Bien sûr, il y a eu un redémarrage avec X-Men et Blade, mais leurs esthétiques tiraient plus vers Matrix. Sam Raimi est le premier à revenir à la théâtralité du super-héros en masque et collants. » Avec ses déplacements de building en building au cœur d’une ville de New York reconstituée en 3D, l’« Araignée », héroïne dans les années 1980 et 1990 de jeux vidéo jusque-là assez pauvres, s’est aussi, à la même époque, réinventée en héros ludique et agile de productions à très gros budgets.

Lire aussi : Quand les « Spider-Man » étaient encore des jeux vidéo sans budget

Aujourd’hui encore, Spider-Man est, avec Batman, dont les aventures sont publiées chez les concurrents de DC Comics, l’un des super-héros les plus connus. Pour Lolita Graziosi-Broissiat, « ce succès est lié à ces adaptations, mais également au fait que les lecteurs peuvent s’identifier à ce jeune héros ».

Tourments adolescents

Dès le début, l’Araignée détonne dans le paysage super-héroïque. Jusque-là, « les personnages de super-héros adolescents étaient généralement des acolytes », constate le journaliste Evan Narcisse, auteur de comics et consultant sur le jeu vidéo sorti en 2020 Marvel’s Spider-Man : Miles Morales. « Après la seconde guerre mondiale, un groupe social apparaît : des adolescents ayant du temps libre et un certain revenu, ajoute-t-il. Tandis que la société apprenait à faire avec ce nouveau groupe, ces adolescents devaient eux aussi trouver leur place dans le monde. Ce qu’a dû faire Peter Parker aussi dans sa vie quotidienne et ses aventures. »

Après le départ de Steve Ditko en 1966, le personnage est confié à John Romita, qui va lui faire bénéficier de son expérience de la BD sentimentale. « Il va conférer à Spider-Man un côté soap comme [chez l’éditeur concurrent] Archie comics. Romita va accorder plus de place aux deux intérêts amoureux de Peter Parker, Mary Jane Watson et Gwen Stacy, deux pin-ups, une blonde et une brune qui se disputent ses faveurs », précise Xavier Fournier.

Lire aussi : « Riverdale », « Sabrina » : derrière les séries télé, le dépoussiérage gagnant d’une franchise de comics

La personnalité et le look de Spider-Man dénotent également au pays de super-héros tout en muscles et premier degré. « C’est quelqu’un de timide, pas vraiment taillé, un peu nerd et conspué au lycée. Les personnages de Marvel sont moins des représentations mythologiques que celles de DC Comics. Ils sont plus faillibles et humains », estime Océane Zerbini, créatrice du podcast sur la pop culture Lemon Adaptation Club.

Une fois le costume revêtu, Peter Parker se désinhibe et s’autorise beaucoup d’humour. Une gouaille qui annonce, avec des décennies d’avance, celle des films de super-héros aujourd’hui publiés sous l’étiquette du Marvel Cinématic Universe (MCU). Pour autant, le lycéen est écrit comme un personnage mélodramatique. « C’est aussi sans doute le premier héros Marvel qui a une vision sociale. Ce n’est pas le cas de Tony Stark [Iron Man] ou des Quatre Fantastiques, qui sont des notables », ajoute M. Fournier.

Issu d’un milieu populaire, et en dépit de ses superpouvoirs, Peter Parker doit aider sa tante à payer les factures, relancer les employeurs qui tardent à le payer, gérer ses tourments amoureux et faire le deuil de son oncle. « Il n’est pas invincible. Dans les comics, il fabrique lui-même son costume et ses accessoires pour tisser ses toiles », rappelle la sociologue Lolita Graziosi-Broissiat, pour qui ce personnage « représente une forme de rêve américain : tout le monde peut réussir et devenir un héros, même quand on est la petite araignée sympa du quartier ».

Héroïsme douloureux

Perclus de doutes, Peter Parker apprend à devenir un justicier à ses dépens. Selon Océane Zerbini, sa saga « met en scène la conciliation entre la vie quotidienne et sa charge de super-héros. C’était déjà le cas avec Bruce Wayne/Batman, mais les origines plus modestes de Parker confèrent à ce dilemme plus de réalisme. Il est sans cesse partagé entre faire le bien pour sa ville ou soutenir sa famille ».

Il y a, pour le journaliste Xavier Fournier, « une forme de dureté à rappeler à Peter que son oncle est mort par sa faute », quand il a laissé filer le voleur qui a fini par le tuer. Spider-Man est un héros qui n’est pas vraiment récompensé pour ses efforts, il peut rater un entretien d’embauche pourtant crucial pour mieux sauver des gens, ou même vivre un épisode absolument traumatique, pour les lecteurs comme pour lui : la mort de Gwen Stacy, en 1973.

Un apprentissage résumé par la phrase devenue culte : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Prêtée à l’oncle Ben, cette citation apparaît dès 1962 dans une bulle narrative écrite par Stan Lee, explique un article paru en 2021 dans Philosophie Magazine, qui fait remonter le proverbe jusqu’à la Bible.

La longévité de Spider-Man tient aussi à sa capacité de réinvention, sous la plume de dizaines d’auteurs et dessinateurs. « Ses déclinaisons sont nombreuses : Spider-Gwen, Spider-Woman, Scarlet Spider, Spider-Ham ou Spider-Man Noir… », énumère Mme Graziosi-Broissiat. Des versions évoluant dans des différentes dimensions (ce que Marvel appelle le « multiverse ») qui coexistent avec Peter Parker, se posent en alternative, sans effacer son histoire d’origine.

« Le personnage a connu en soixante ans beaucoup d’itérations, de métiers, d’âges différents… Son rapport à l’argent, à la police, à la famille a pu changer plusieurs fois, rappelle Mme Zerbini. Finalement, Spider-Man est plus une formule qu’une personnalité. »

Incursions politiques

Des interprétations plus récentes montrent aussi la volonté des auteurs de Spider-Man de s’adapter à l’air du temps et de faire montre de plus de diversité. Web-Weaver, le premier Spider-Man gay a été annoncé pour septembre 2022. On pense avant cela à Miles Morales, un Spider-Man noir et latino créé en 2011 par Brian Michael Bendis et Sara Pichelli, qui a particulièrement convaincu dans le film d’animation de 2018 Spider-Man : new generation, mais aussi dans le jeu vidéo Marvel’s Spider-Man : Miles Morales.

Issu d’une réalité parallèle, Miles endosse le costume de Spider-Man après la mort, dans son monde, de Peter Parker. Mais va finir par collaborer avec ce dernier dans une autre dimension. « L’ajout de Miles à la mythologie Spider-Man donne de la profondeur au personnage de Peter Parker, qui doit devenir son mentor. Miles lui-même n’a pas le même fardeau de culpabilité que Peter, ce qui lui donne une texture différente. [Les BD qui lui sont consacrées] explorent la façon dont les jeunes peuvent s’emparer de leur héritage et le faire évoluer pour faire face aux défis du présent », estime le journaliste Evan Narcisse.

L’auteur américain ajoute : « L’origine ethnique de Miles lui permet de réagir différemment. Alors que la police considérait souvent Spider-Man comme une menace, Peter Parker n’a jamais eu à s’inquiéter des idées préconçues affectant sa vie quotidienne. Certaines histoires ont, à l’inverse, montré que Miles n’a pas ce luxe et cela change sa conception de la justice. » Des histoires à l’impact d’autant plus fort que Miles Morales est contemporain du mouvement Black Lives Matter.

Spider-Man s’était déjà frotté à des sujets politiques. L’apparition, dans le numéro 583 d’Amazing Spider-Man, en 2009, de Barack Obama, tout juste devenu le premier président noir des Etats-Unis, a permis de battre les records de ventes. « Le MCU a aussi fait du Daily Bugle [le journal qui emploie Peter Parker mais traque Spider-Man], une parodie d’Infowars, le site du conspirationniste Alex Jones », analyse Océane Zerbini.

« Et on retrouve, dès 1971, la dénonciation de la drogue dans Green Goblin Reborn !. Après l’accueil positif de cette séquence par le public, la Comics Code Authority [le “gendarme” des BD] s’est même autorisée à réviser son code, pour autoriser les BD à aborder le thème de la toxicomanie, tant qu’elle était montrée sous un jour négatif », complète Lolita Graziosi-Broissiat. Et plus tôt encore, le sujet de la guerre avait été abordé avec le personnage de Flash Thompson, camarade de lycée de Peter Parker et conscrit parti combattre au Vietnam.

En soixante ans, Spider-Man n’aura pas seulement arpenté New York d’immeuble en immeuble, il aura aussi accompagné les changements d’époques et témoigné de moments historiques.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.