Femmes dans la tech : comment réduire les inégalités ?

Femmes dans la tech : comment réduire les inégalités ?


Elles ont beau être majoritaires dans le pays, elles sont toujours largement minoritaires dans le secteur numérique. En 2020, la part des femmes dans la tech était seulement de 15 %, selon l’INSEE. Une situation qu’on retrouve dans les grandes écoles et autres établissements scolaires, puisqu’on retrouve seulement « 17,2 % de jeunes femmes dans les effectifs de classes de spécialités informatiques et de cycles d’ingénieur », comme le rappelle Corinne Dajon, présidente de l’association Femmes@numérique dans son discours d’introduction aux Premières Assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques.

L’événement a réuni plus de 300 personnes, parmi lesquels le Cigref, des éditeurs de logiciels, le Numeum, et de nombreux professionnels de l’industrie et de son enseignement. Mais aussi des parlementaires et des personnalités politiques, notamment Jean-Noël Barrot, ministre de la Transition numérique et des Télécommunications. Isabelle Rome, ministre en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’a rejoint en fin de journée.

De fortes inégalités

C’est au ministre de la Transition numérique que s’adresse amicalement, mais résolument Henri d’Agrain, président de la fondation Femmes@numérique, au début des Assises : « Nous avons besoin de réponse de la part de l’Etat (…) afin de construire en responsabilité avec vous un avenir pour la jeunesse de ce pays auquel les filles devront être pleinement associées ».

Dans sa réponse, le ministre reconnaît les fortes inégalités de genre dans ces « métiers en forte croissance, des métiers gratifiants, rémunérateurs et qui ouvrent de nombreuses perspectives ». Il évoque les lois Copé-Zimmermann et Rixain, qui exigent un minimum de 30 % et 40 % de femmes dans les conseils d’administration et instances de direction des entreprises.

Reconnaissant néanmoins que ces dernières « ne s’appliquent pas particulièrement au sujet du numérique ». Or, c’est quand même dans ce secteur que figurent les écarts de présence les plus importants entre hommes et femmes.

Une exception française ?

La situation n’est pas la même dans tous les pays du monde. « Quand je suis arrivée chez Lenovo, en Chine », nous confie Catherine Ladousse, membre du Haut Conseil à l’égalité et cofondatrice du Cercle InterElles, « j’ai vu beaucoup de femmes dans les labs (…), dans les usines aussi ». « Au Moyen-Orient, j’ai découvert qu’il y avait énormément de femmes aussi dans ces filières-là », ajoute-t-elle. « Regardez les chiffres en Malaisie, c’est incroyable : 60 % des filles choisissent les filières scientifiques et technologiques. »

« Aujourd’hui on a 36 % de femmes dans le groupe, et seulement 21 % dans les métiers de la tech et du numérique », note Delphine Pouponneau, la responsable diversité au sein du groupe Orange. Un groupe où il serait difficile d’embaucher des femmes, « en partie parce que ce ne sont pas seulement les entreprises de la tech qui recrutent ces femmes, mais sont tous les secteurs, parce que tout est numérisé. Souvent, elles vont préférer aller dans la banque ou chez LVMH que chez Orange. Il y a un manque de profils féminins, ça, c’est clair », déplore-t-elle. Selon la cadre d’Orange, il faut « déconstruire les stéréotypes. Quand on écoute des jeunes filles dire « la tech, ce n’est pas pour moi », il faut vraiment changer les représentations ». Pour elle, c’est une « question de représentation du métier ». « Au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Inde… on n’a pas ce problème-là. », précise-t-elle.

Catherine Ladousse tire aussi son optimisme de ce qu’elle a vu dans d’autres pays étrangers, comme le Mexique, où « il y a eu une prise de conscience à la fois [au niveau des] politiques publiques et des formations ». Selon elle, c’est ce qui a permis à ces filières de passer de « 5 % de filles à 40 %». Sans « la loi, on n’avance pas. Pourquoi ? Parce que quand on est dans un milieu où le pouvoir est entre les mains d’un genre, il est très difficile de [le] partager », affirme-t-elle. Elle n’hésite pas à parler de « quotas ». « Peut-être parce que j’ai travaillé dans des entreprises internationales où le terme de quota n’était pas effrayant », raconte-t-elle.

Discrimination positive et quotas

Ce terme, souvent délicat à utiliser en France, est revenu plusieurs fois dans la bouche des participants interrogés à ces premières Assises. Claude Roiron, haute fonctionnaire du ministère de l’Education nationale chargée de l’égalité entre les filles et les garçons, avance qu’il faut « mettre des objectifs cibles », défendant la politique des quotas. Selon elle, des objectifs de « 30 % ou 40 % de filles dans les classes d’enseignement du numérique » d’ici trois à quatre ans pourraient permettre d’élargir le vivier et de « franchir la barre des 30 % à 35 % de femmes ingénieures ». « Ce qui est pour le moins normal, la moyenne de l’OCDE, c’est 40 % », rappelle-t-elle. Reste à savoir comment une telle loi pourrait être appliquée dans les établissements scolaires et respectée dans les entreprises.

Dans les faits, certaines et certains responsables auraient déjà devancé cette éventuelle loi. C’est ce que nous a confié Agnès Mauffrey, la DSI de Sodexo, après avoir participé à l’un des débats du jour. « A compétences égales, je donnerais toujours la préférence à des femmes », raconte-t-elle. « En tant que femme, je m’attache aussi à faciliter le développement des femmes dans mes équipes. Et de plus en plus m’engager auprès des écoles, collèges, lycées, expliquer qu’il y a des carrières possibles, qu’il y a plein de choses épanouissantes à faire dans ce métier ».

Pour la DSI, il ne s’agit ni seulement de répartir les postes ni de former uniquement des profils techniques : « Le numérique, c’est la transformation des modes de travail, des interactions dans l’entreprise, des business model ». La discrimination positive envers les femmes serait peut-être alors une façon de rendre plus juste les usages des services numériques plus juste. « Puisque le numérique est presque partout, est-ce qu’on est sûr que la façon dont les hommes peuvent penser l’usage du numérique dans telle ou telle activité plutôt féminine est la bonne ? », nous demande-t-elle par ailleurs.

Cultiver le réseau

Après avoir dirigé pendant plusieurs années l’incubateur de start-up Willa et fondé sa start-up 50inTech, Caroline Ramade, malgré sa connaissance et son expérience, se dit encore mal à l’aise dans le milieu. « Encore hier matin, j’étais dans un déjeuner de networking d’entrepreneurs », raconte-t-elle. « 90 % d’hommes ! Vous pensez que j’étais hyper à l’aise pour engager une conversation, poser des questions ? Non ! »

Parmi les solutions qu’elle présente aux femmes entrepreneuses, elle leur propose de développer leur propre réseau. « Le réseau aujourd’hui, il se constitue à l’école, majoritairement. En tout cas, le réseau le plus puissant. Si vous êtes 5 % de femmes dans votre école, le réseau, il va moins bien fonctionner pour vous que pour les hommes qui sont autour. Ils vont être plus à l’aise et en plus il y aura une culture où ils n’ont pas l’habitude d’intégrer les femmes, donc ils vont moins réseauter avec vous. Donc, il faut se recréer ce réseau plus tard dans votre carrière. »

A travers 50inTech, elle organise aussi des bootcamps (stage d’entraînement) en ligne, des formations, par exemple pour mieux négocier son salaire.

Mea culpa et maths

Evidemment, l’enseignement des sciences a fait partie des critiques durant ces Assises. Claude Roiron a reconnu, lors d’un des débats, le retard pris à l’allumage des consciences : « Le numérique a émergé tard dans l’Education nationale. » Avant d’étayer plus tard lors de notre entretien : « Très peu de nos enseignants en primaire viennent de filières scientifiques. A l’issue du rapport que Cédric Villani a fait avec l’inspecteur général de l’Education nationale Charles Torossian, tout un plan a été mis en œuvre il y a quatre années pour améliorer la formation scientifique de nos enseignants. De façon à ce qu’ils soient plus à l’aise avec l’enseignement des sciences dans leurs classes. Cela ne donne pas des résultats immédiatement. Il faut quand même attendre quatre, cinq ans. »

Dans les sciences, les mathématiques tiennent une place particulière, souligne Mélanie Guenais, elle-même professeure, mais aussi vice-présidente de la société Mathématiques de France et coordinatrice du collectif Maths et Sciences. « Sans les mathématiques, on fait zéro science, zéro informatique, zéro physique. Actuellement, on ne fait même rien du tout, puisqu’on a de plus en plus besoin des analyses quantitatives dans l’ensemble des autres disciplines. (…) Partout il y a besoin de la modélisation. »

Après une réforme du lycée jugée catastrophique par beaucoup, et qui aurait réduit la part des filles en cours de maths en terminale, la professeure pense qu’« il faut absolument rétablir un programme de maths et de sciences obligatoires pour tout le monde, adapté au niveau de chacun. Pour éviter la perte des filles qui conduit à des pertes de chances dues à une orientation trop précoce. Le fait de rendre obligatoire un volume minimum de sciences et de maths pour tout le monde permettrait de limiter les dégâts ». Selon elle, il faudrait un volume de six ou huit heures, avec une adaptation selon les besoins de chaque élève.

La part des hommes

Sur scène, Jean-Christophe Morisseau, CEO de Red Hat France et représentant du syndicat professionnel de l’écosystème numérique Numeum, avait interpellé ses homologues masculins présents dans la salle, en leur faisant remarquer qu’ils étaient cette fois, ironiquement, largement minoritaires face aux femmes, soit même pas un tiers de l’assistance. La solution passera aussi par leur participation au changement, a-t-il voulu faire comprendre.

« Il y a tellement d’opportunités business qu’on n’est pas sur un gâteau à partager, on est sur un gâteau qui grossit », nous a-t-il dit en entretien plus tard. Selon lui, ce sont « des hommes qui sont sur des positions acquises » qui se sentent en concurrence. Pourtant, il estime qu’il y a « tellement de choses à faire, tellement de métiers à conquérir dans le domaine de la data science, de l’intelligence artificielle ou du quantique qu’au final c’est se mettre des œillères que de penser que le marché ne va pas grossir ». Arguant qu’il faudra plus de monde, il fait valoir qu’il y a « de la place pour tout le monde. Au contraire, il faut ouvrir au maximum de personnes, et notamment aux femmes ».

A la clôture de ces premières Assises, face aux deux ministres, Henri d’Agrain a rappelé « une urgence à agir et à inscrire une action ferme et ambitieuse dans le temps long», tout en donnant déjà rendez-vous l’année prochaine pour les secondes Assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques. Qui sait, peut-être que le Président de la République lui-même sera présent en 2022. C’est bien lui, chantre de la « start-up nation » et porteur de l’égalité hommes-femmes au rang de grande cause de son premier et second mandat, qui sera le comptable du bilan d’une féminisation réussie ou non des métiers et filières numériques au bout de 10 ans de pouvoir. Les femmes jugeront.





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