« C’est la première fois que je travaille sur un sujet sur lequel il n’existe aucune bibliographie institutionnelle, aucun rapport, rien. » Et pour Laurence Rossignol, vice-présidente socialiste du Sénat et rapporteuse, aux côtés de trois autres membres de la délégation aux droits des femmes de la chambre – les sénatrices Annick Billon (Union des démocrates et indépendants, Vendée), Alexandra Borchio-Fontimp (Les Républicains, Alpes-Maritimes) et Laurence Cohen (Parti communiste, Val-de-Marne) –, du premier rapport parlementaire sur l’industrie pornographique, ce manque d’intérêt pour le sujet n’est pas un hasard. « La résistance masculine à faire de ces sujets des sujets politiques est très grande. »
De sensibilités politiques différentes, les quatre rapporteuses affichent un front uni dans le document, qu’elles doivent publier mercredi 28 septembre, et dont Le Monde a pris connaissance, après six mois de travaux et des dizaines d’auditions. Comme elles le soulignent dans leur avant-propos, il s’agit pour elles « d’ouvrir enfin les yeux de tous sur ce système de violences », illustré par la tentaculaire affaire « French Bukkake », du nom du site de Pascal Ollitrault, pour lequel une information judiciaire a été ouverte, en octobre 2020, pour « traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion, proxénétisme aggravé » ; mais aussi « d’engager un débat public sur les pratiques de l’industrie porno et sur son existence même ».
La pornographie n’est plus depuis longtemps confinée aux salles de cinéma, ni érigée en symbole d’une libération des mœurs. Internet en a profondément transformé la production comme la consommation, devenue aussi massive que précoce : « Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement. Près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno au moins une fois par mois », note le rapport. Avec des conséquences profondes sur la psyché et sur la représentation de la sexualité et des femmes.
« Arrêter de détourner les yeux »
« Ce qu’on veut dire, résume Laurence Rossignol, c’est que l’industrie du porno est toxique dans son mode de fabrication et de consommation. Elle colonise les cerveaux. » Pour les rapporteuses, « on doit prendre conscience que c’est un problème de politique publique, il faut arrêter de détourner les yeux ». En France, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) estime que 19,3 millions de personnes (un tiers des internautes) consultent du porno en ligne, les mineurs représentant 12 % de cette audience. Si cette massification a fait les affaires de quelques grands groupes – en premier lieu, le géant canadien MindGeek (Pornhub, Redtube, YouPorn…) et, en France, les groupes Ares (Jacquie et Michel) et Dorcel –, elle a également entraîné une précarisation massive des autres parties prenantes de l’industrie, en premier lieu les actrices.
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