Livre. Notre vie numérique est une vaste chambre d’écho, où ne se fait entendre qu’un seul point de vue politique. Les algorithmes des réseaux sociaux nous suivent pas à pas et nous recommandent des contenus toujours de la même sensibilité. Difficile alors de pratiquer le pluralisme, essentiel à la démocratie.
Ce discours fait aujourd’hui figure d’évidence, mais le sociologue américain Chris Bail en conteste le sérieux dans son ouvrage Le Prisme des réseaux sociaux. Professeur à l’université Duke (Caroline du Nord), il y dirige le Polarization Lab pour mieux comprendre le tribalisme politique qui touche tout particulièrement les Etats-Unis, et d’autres grandes démocraties. Il a voulu étudier les réseaux sociaux à hauteur d’utilisateurs au travers d’entretiens mais aussi d’expériences pour les soumettre à des points de vue différents des leurs, afin d’observer comment ils réagiraient. Des robots, tels que l’on en trouve sur les réseaux sociaux pour diffuser du contenu, ont ainsi soumis les participants à des messages qui devaient les sortir de leurs chambres d’écho et permettre de voir s’ils allaient modérer leurs opinions, en appréciant davantage les idées des autres.
Chris Bail mène son enquête avec une approche venue des sciences sociales computationnelles, en analysant un très grand nombre de données et d’expériences. Renforcé par de longs entretiens réalisés avec les participants, ce travail de psychologie sociale est riche d’enseignements. Il démontre tout d’abord que, contrairement à ce qui est souvent dit, être exposé à des points de vue adverses ne diminue pas la polarisation, bien au contraire.
Plaidoyer pour les sciences sociales
Chris Bail constate plutôt un renforcement des identités politiques construites en ligne. Toute critique contre notre camp est prise comme une attaque, un phénomène que le sociologue explique par le conformisme des réseaux. Cette crispation autour du « qui je suis en ligne » a pour effet de chasser les modérés du Web.
La polarisation observée en ligne serait donc fausse, puisqu’elle ne renvoie pas à un portrait juste de la société, reposant sur des identités sans cesse sur la défensive. La polarisation existe, mais c’est un climat davantage installé par les médias traditionnels, où, selon la recherche, les références aux propos injurieux et au manque de compromis ont doublé entre 2000 et 2012.
Chris Bail esquisse différentes solutions, mais il demeure prudent. Son livre reste avant tout un plaidoyer pour l’apport des sciences sociales dans l’étude des réseaux sociaux afin d’éviter les généralisations infondées. En France, Etienne Ollion, professeur à Polytechnique, participe au renouvellement de la recherche grâce à l’apport des données numériques. Dans la préface, il souligne l’apport de ce livre qui « incarne bien un déplacement produit au cours des quinze dernières années », durant lesquelles les sciences sociales se sont saisies de cette approche innovante pour « étudier parfois autrement, mais aussi parfois mieux, les sociétés ».
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