L’ancien PDG de FTX.US, la branche américaine de la plate-forme, sort du silence. Il dresse le portrait d’un Sam Bankman-Fried tyrannique, instable et colérique.
Quelques mois après l’effondrement de FTX, les révélations s’accumulent. D’après les avocats en charge de la procédure de faillite aux États-Unis, la gestion financière de l’exchange était tout simplement désastreuse. Alors qu’elle brassait des milliards de dollars en cryptomonnaies, l’entreprise manquait cruellement de structure et de professionnalisme. Par exemple, il n’y avait pas de véritable service de comptabilité au sein de la firme.
Les comptes montrent aussi que FTX dépensait des sommes excessives pour des restaurants ou des appartements de luxe… tandis que le krach des cryptomonnaies grignotait progressivement ses réserves de liquidités. Sans surprise, Sam Bankman-Fried (SBF), PDG et fondateur de l’empire de FTX, est tenu pour responsable de cette débâcle historique.
Sam Bankman-Fried cherche à se dédouaner
Accusé de détournement de fonds, l’ancien milliardaire a été arrêté par la police des Bahamas en décembre. De retour sur le sol américain, il est parvenu à négocier sa libération sous caution en attente de son procès, prévu en octobre. Assigné à résidence en Californie, l’ancien chevalier blanc de la crypto continue de clamer son innocence.
— SBF (@SBF_FTX) January 12, 2023
Dans un article publié la semaine dernière, Sam Bankman-Fried semble prêt à tout pour rejeter la faute sur autrui. L’entrepreneur n’hésite pas à pointer du doigt Alameda Research, la société de trading dont il avait quitté la présidence en 2019 pour se consacrer à FTX. D’après lui, la firme, dirigée par Caroline Ellison, n’a pas pris assez de précautions pour se protéger de l’effondrement des crypto-actifs. C’est la chute d’Alameda qui aurait abouti à la mort de FTX.
« Je n’ai pas dirigé Alameda depuis quelques années », rappelle Sam Bankman-Fried, qui était pourtant l’actionnaire majoritaire de la société de trading, réputée pour ses stratégies agressives.
Sam Bankman-Fried assure par ailleurs que FTX a été victime d’une attaque orchestrée par Binance, la plate-forme d’échange numéro un de l’industrie. En effet, l’un des premiers éléments ayant provoqué la panique des utilisateurs FTX était un tweet de Changpeng Zhao, PDG de Binance. C’est néanmoins une enquête du média CoinDesk qui a mis le feu aux poudres, et révélé l’insolvabilité de l’empire FTX.
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Les coulisses de l’empire FTX
Sous le feu des projecteurs depuis la faillite de FTX, Brett Harrison, l’ancien président de FTX.US, a finalement accepté de révéler l’envers du décor. L’homme a dirigé la division américaine de l’exchange de mai 2021 à septembre 2022. Il a démissionné moins de deux mois avant la faillite de FTX, restant flou sur les raisons de son départ.
1/49 Many have asked questions about my time at FTX US and why I left when I did. As I indicated earlier this week, I’m happy to begin sharing my experiences and perspective publicly.
— Brett Harrison (@BrettHarrison88) January 14, 2023
Dans un thread, Harrison dresse un bilan amer de sa collaboration avec Sam Bankman-Fried. Il rappelle avoir travaillé avec SBF avant la naissance de FTX et Alameda au sein de la société de trading Jane Street Capital. À l’époque, le futur milliardaire était très apprécié : c’était « une personne sensible et intellectuellement curieuse qui se souciait des animaux », explique Harrison. Comme l’a admis SBF par la suite, il s’agissait uniquement d’une couverture pour soigner son image.
D’après lui, le fondateur de FTX s’est progressivement transformé au fur et à mesure que sa plate-forme prenait de l’ampleur. Après avoir accepté de prendre la tête de FTX.US, Harrison s’est rendu compte de la manière dont l’entreprise était véritablement gérée. Apparemment, Bankman-Fried ne supportait pas la moindre contradiction :
« J’ai reconnu dans ce premier conflit un signe d’insécurité totale et d’intransigeance quand ses décisions étaient remises en cause ».
Toxicomanie et menaces
Choqué par la communication agressive de SBF, Harrison n’hésite pas à attribuer ce changement radical de personnalité à la consommation de médicaments. Le cadre pense que la drogue a profondément affecté l’esprit de Sam Bankman-Fried :
« J’ai de la famille et des amis qui vivent avec des problèmes de toxicomanie et de santé mentale, et j’ai vu comment ces problèmes se manifestent souvent sans avertissement au début de l’âge adulte ».
Arrêté par la justice des Bahamas, Sam Bankman-Fried a indiqué consommer 10 mg d’Adderall toutes les quatre heures, accompagnés de patchs Emsam pour la dépression. De son propre aveu, il utilise ces deux dérivés d’amphétamines, fournis sur prescription médicale, depuis des années.
Pour éviter les contrariétés, le fondateur de FTX mettait la pression sur ses collaborateurs. Après avoir rédigé une lettre opposée à la stratégie de SBF, Harrison affirme avoir reçu des menaces pour le contraindre à se rétracter :
« Sam était mal à l’aise avec les conflits. Il y a parfois répondu avec hostilité. […] J’ai été menacé de renvoi au nom de Sam et de destruction de ma réputation professionnelle. On m’a demandé de retirer formellement ce que j’avais écrit et de présenter des excuses ».
C’est pourquoi il a préféré quitter le navire. Pour éviter un départ abrupt, le cadre a progressivement délégué ses responsabilités avant d’annoncer sa démission. Bret Harrison affirme n’avoir jamais soupçonné l’entreprise de détournement de fonds et de fraude. Vu de sa fenêtre, il s’agissait uniquement de « problèmes de gestion et d’organisation ».
Avec le recul, l’ancien PDG considère que les activités frauduleuses de FTX étaient sciemment orchestrées par Sam Bankman-Fried et son cercle de proches. Mis à l’écart des décisions les plus importantes quelques mois après son arrivée, Harrison n’a jamais pu se douter de ce qui se tramait. La justice américaine ne le soupçonne d’ailleurs pas d’avoir participé à la fraude.