Depuis quelques mois, les dirigeants de Facebook n’ont plus qu’un seul mot à la bouche : le métavers (metaverse en anglais). En juillet, une fuite dans la presse a révélé cette nouvelle stratégie au grand jour. En septembre, le réseau social a annoncé la création d’un fonds de recherche de 50 millions de dollars. Et en octobre, c’est une rafale d’annonces. Pour créer ce métavers, Facebook veut non seulement créer 10 000 emplois en Europe d’ici à cinq ans, mais prévoit aussi un budget colossal de 10 milliards de dollars dès cette année. Ce matraquage médiatique a culminé enfin le 28 octobre dans la keynote que Mark Zuckerberg a tenu à l’occasion de la conférence Connect 2021, durant laquelle il annonce un changement de nom stratégique, le groupe Facebook devenant « Meta ».
Le nouveau Graal numérique
Du début jusqu’à la fin, le discours du PDG était consacré au métavers, qu’il a présenté comme l’Internet du futur. « La prochaine plate-forme sera encore plus immersive — un Internet incarné que vous pouvez vivre et pas seulement regarder. Nous appelons cela le métavers, et il touchera tous les produits que nous construisons. La qualité déterminante du métavers sera un sentiment de présence — comme si vous étiez juste là avec une autre personne ou à un autre endroit. Se sentir vraiment présent avec une autre personne est le rêve ultime de la technologie sociale. C’est pourquoi nous nous concentrons sur cette construction », explique-t-il dans une lettre qui ressemble à une véritable profession de foi.
Mark Zuckerberg a profité de cette présentation pour montrer, à coups d’effets spéciaux, à quoi pourrait ressembler un tel univers virtuel. Ainsi, munis de casques de réalité virtuelle ou mixte, les utilisateurs pourraient se recréer un domicile virtuel sans aucune contrainte. Ou se rencontrer dans des espaces totalement synthétiques, pour jouer, discuter ou travailler.
Ces nouveaux espaces pourraient également être des superpositions d’espaces réels et virtuels. Un utilisateur pourrait ainsi rejoindre son ami à un concert sous la forme d’un hologramme. Les amis pourraient également se connecter pour faire du sport, une partie de tennis de table ou de basket par exemple. Et pourquoi pas faire du télétravail à la maison.
Le commerce prendrait bien sûr une place importante dans le métavers. Ces nouveaux espaces virtuels offriraient une manière plus immersive de découvrir un produit physique. Ils permettraient aussi de vendre plus facilement des produits purement virtuels.
Selon Mark Zuckerberg, la construction de ce métavers prendra du temps — entre « 5 et 10 années » — et nécessitera de nouvelles technologies. Dans ses laboratoires, les ingénieurs planchent ainsi sur des lunettes de réalité mixte qui prendraient la forme de simples lunettes de vue (Project Aria et Projet Nazare), sur la création d’avatars dotés d’un rendu photoréaliste ou sur des bracelets pour faciliter l’interaction homme-machine.
Le métavers, une diversion ?
Tout cela est très joli, mais aussi très suspect. Le réseau social Facebook, produit phare du groupe, est de plus en plus considéré comme un fardeau pour la société, et non une solution. Les récentes révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen montrent que la gestion de la plate-forme est devenue éminemment complexe et que ses effets délétères — polarisation des communautés, désinformation, etc. — sont difficiles à atténuer dans un contexte de course à l’audience. Changer de nom et donner de nouvelles perspectives permettent de faire diversion. « En effet, on pourrait penser que ces annonces sont une tactique. Mais le montant des investissements annoncés et le fait de scinder le reporting financier entre Reality Labs et le reste du groupe montrent que le groupe cherche la clarté et veut créer les fondations d’un projet sérieux », estime Nicolas Reffait, associé Médias chez BearingPoint.
Pour autant, il ne faut pas être naïf. Pour Meta, le métavers n’est pas seulement un moyen « de connecter des gens » dans la joie et la bonne humeur. C’est avant tout un relais de croissance et une échappatoire. « Sur le web, Meta est de plus en plus à l’étroit et corseté par des règles de transparence et de protection des données personnelles. Avec le métavers, le groupe peut recréer son indépendance et se doter de nouvelles marges de manœuvre. Il y a dans cette quête une recherche d’hégémonie, même si le groupe plaide officiellement l’ouverture et le partenariat », explique Nicolas Reffait.
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Si Meta fait tellement de bruit autour du métavers, c’est aussi parce qu’il est probablement l’acteur le mieux placé pour y arriver. Le groupe génère chaque trimestre un résultat net autour de 10 milliards de dollars et il compte chaque jour presque deux milliards d’utilisateurs actifs en moyenne, tous produits confondus (source : Earnings Presention Q3 2021). Mais il n’est pas le seul. D’autres acteurs y croient aussi, comme Epic Games qui, avec Fortnite, commence à sortir de la logique purement ludique pour créer une activité évènementielle, avec l’organisation de concerts, notamment. Le dernier date d’août 2021, avec le « Rift Tour » d’Ariana Grande.
Il ne faut pas non plus oublier les précurseurs des univers 3D comme Second Life ou Roblox. Ou les chantres de la réalité augmentée comme Niantic ou Nintendo. Ni les autres géants de l’informatique comme Amazon, Microsoft ou Google, qui ont tous des projets de réalité virtuelle dans les tiroirs. « Il existe environ 200 éditeurs qui produisent des mondes virtuels aujourd’hui. Le métavers sera l’agrégation de tous ces mondes quand ils seront interopérables et accessibles », prédit Laurent Chrétien, directeur général de Laval Virtual.
Une route longue et semée d’embûches
Mais soyons clairs, on est encore très loin d’un métavers comme celui présenté dans le film Ready Player One. L’Oasis, c’est son nom, existe en permanence et permet d’accueillir un grand nombre d’utilisateurs en même temps. À ce jour, personne ne dispose des capacités de calcul et des ressources réseau nécessaires, même pour des évènements éphémères. « Faire interagir de nombreuses personnes en même temps sur la même chose est l’un des grands problèmes à résoudre. Créer un Hellfest virtuel, où 30 000 personnes se rencontrent en même temps pour regarder six ou sept scènes est impossible à réaliser aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle Epic Games a subdivisé Fortnite en différentes zones », nous explique Tristan Braud, maître de conférence à la Hong Kong University of Science and Technology.
Ce chercheur a participé à un rapport qui dresse la liste des technologies et des fonctionnalités qu’un métavers devrait avoir pour exister. C’est une feuille de route pour le moins impressionnante, qui va de la gestion des avatars à l’intégration des objets connectés en passant par le « edge computing », la blockchain, l’intelligence artificielle, la gestion des actifs, etc. On n’imagine pas le nombre de nouveaux standards et de protocoles qu’il faudra créer pour que tout ceci fonctionne de façon interopérable.
Un autre grand challenge est la capacité d’immersion et de création de présence, si chère à Mark Zuckerberg. Pour y arriver, il faudra solliciter nos sens au maximum et éliminer les effets indésirables comme la nausée. « Plus nos sens sont sollicités, plus l’immersion et la présence seront fortes. Cela fonctionne bien avec la vue, mais aussi avec le son, que l’on peut désormais spatialiser pour être en cohérence avec les mouvements de l’utilisateur », nous explique Laurent Chrétien. Les gants haptiques et les tapis de déplacements pourraient également faire partie de la panoplie classique des futurs utilisateurs d’un métavers. « La synthèse technologique présentée dans Ready Player One est tout à fait réaliste », estime Laurent Chrétien.
Mais la vérité, c’est que personne ne sait encore quels nouveaux usages le métavers permettrait de faire éclore. La route pour y arriver est simplement encore trop longue. L’aspect écologique d’une telle construction devra également être débattu, compte tenu des énormes ressources qu’elle pourrait engloutir.