Douglas Rushkoff est un écrivain et enseignant américain, théoricien des médias. Il y a vingt-cinq ans, il a popularisé le néologisme « screenager » : l’association de teenager (adolescent) et de screen (écran), que l’on traduit par « adolécran » en français.
Vous avez utilisé le néologisme « screenager » dans votre livre « Playing the Future » de 1997. D’où vient-il ?
En fait, je pense que mon ami Doug Millison, cofondateur d’un magazine éphémère mais merveilleux appelé Morph’s Outpost on the Digital Frontier [1993-1995], a sans doute été le premier à utiliser ce terme de screenager. Et je l’ai sûrement popularisé dans mon livre. J’essayais de suggérer ceci : tandis que le marché « créait » des adolescents, la technologie engendrerait des screenagers – la première génération de natifs numériques. Le terme semble être revenu à la mode avec l’avènement du petit écran. Cependant, aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je les appellerais screenagers de la même façon : plus des « swipeagers » [de swipe, glisser]. L’écran n’est pas l’aspect déterminant de leur sensibilité. Cela a plus à voir avec les doigts, le défilement, le glissement – ou même le sentiment derrière cela.
Les adultes reprochent souvent à leur progéniture d’être rivée à leurs écrans et de ne pas lire de livres. Ont-ils tort ?
Auparavant, les adultes s’inquiétaient des enfants qui lisaient des livres ! Puis ils se sont inquiétés des enfants qui regardaient trop la télévision ou les films. Maintenant, nous nous préoccupons des enfants sur leur smartphone et nous les encourageons à regarder une bonne série télé. Mais oui, je pense que les réseaux numériques ont encouragé une nouvelle génération de lecteurs. Les enfants lisent plus maintenant qu’avant. « Jeune adulte » est le genre littéraire qui croît le plus rapidement et qui est le plus rentable en librairie. Il semble que le jeu vidéo n’ait pas raccourci la durée d’attention de tout le monde, et qu’il ait créé une appétence pour le divertissement où vous « n’avez pas » à naviguer par vous-même.
Diriez-vous encore que les enfants qui utilisent plusieurs types de terminaux auront plus de facilités dans la vie que leurs aînés ? Et que pensent-ils des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ?
J’ai supposé que les enfants natifs d’Internet – qui ont grandi avec les livres numériques et dans l’univers du commerce ultrarapide – n’étaient pas prompts, hormis quelques-uns, à reconnaître derrière cet écosystème la mécanique du capitalisme d’entreprise ; qu’ils ne voyaient pas du tout le capitalisme comme un programme. C’est là que je me suis trompé. J’ai l’impression que l’actuelle jeune génération remet en question les hypothèses sous-jacentes de la société occidentale, et le capitalisme en fait certainement partie. J’espère vraiment que la « GenZ » [ceux nés dans les années 2000] et la « GenAlpha » [ceux nés à partir de 2010] comprennent les enjeux qui se cachent derrière les écrans. Enjeux que la plupart des millennials [nés dans les années 1980 et 1990] n’ont, quant à eux, tout simplement pas vus.