Joseph Godefroy, sociologue, est expert des sujets liés à l’influence, à laquelle il a consacré une thèse centrée sur les influenceurs dans le milieu du fitness et de l’alimentation.
Vous avez consacré plusieurs années à scruter le quotidien des influenceurs et influenceuses. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
J’ai été frappé par la représentation des corps, souvent mis en scène par les influenceurs eux-mêmes, qui comprennent progressivement, sans que les marques leur demandent explicitement, que certaines parties de leur corps et certaines postures leur permettent d’obtenir un plus grand engagement sur leurs contenus. Il y a toute une économie derrière ces représentations. D’une façon plus générale, les influenceurs d’Instagram apprennent et intériorisent les éléments nécessaires à leur marchandisation.
Toutefois, les influenceurs ne sont pas censées aller trop loin…
C’est toute l’ambiguïté de la démarche, liée aussi à la porosité des espaces d’expression sur les plates-formes. Les marques utilisent les influenceuses et influenceurs pour humaniser, incarner leur discours publicitaire… Mais ils ne doivent pas apparaître comme des vendeurs, des commerciaux, sinon leur audience risque de cesser de les suivre. Ici, les influenceurs sont des individus qui bénéficient d’une forte visibilité en ligne à laquelle les marques associent une force d’influence potentielle. En retour, l’influenceur en retire des avantages symboliques comme une reconnaissance accrue, une visibilité encore augmentée et, souvent, des gratifications matérielles ou encore un accès privilégié à certains événements.
Dans vos écrits, où vous citez fréquemment Instagram, vous rappelez une date : mars 2016, moment où elle devient, dites-vous, une plate-forme ouvertement « commerciale »…
Effectivement, durant cette seconde période, où la publicité se mêle peu à peu à la diffusion de contenus personnels en ligne, la possibilité pour les entreprises d’identifier directement sur Instagram les produits qu’ils commercialisent marque un tournant dans l’histoire de la plate-forme.
C’est-à-dire ?
Il ne s’agit plus seulement pour les annonceurs d’occuper un espace marginal sur Instagram, à la manière des bandeaux publicitaires présents sur d’autres sites Internet. Cette fois-ci, les entreprises ont la possibilité de renvoyer directement les usagers d’Instagram vers leur site marchand, tout en reprenant les codes adoptés par des publications plus personnelles, alors au cœur des contenus diffusés sur Instagram. Ces contenus participent ainsi à la confusion des enjeux publicitaires et personnels, avec l’émergence d’usagers dont le discours semble à la fois emprunter les traits de l’authenticité et de la publicité.
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